Le jour où le web s’arrêtera, j’aurai une telle gueule de bois que je ne suis pas persuadé de m’en rendre compte. La drogue est bonne conseillère et l’illusion en pixel est mieux faite que la banale réalité. Chez nous, les animaux marchant fièrement sur leurs pattes arrières, les habitudes ont la vie dure et vivre dans le déni, c’est apparemment une forme de caractère dans notre monde. Nous, nous sommes le peuple de toutes les dépendances, de tous les liens, familles, amis, camarades, concitoyens, société, humanité, mais nous sommes surtout les concepteurs et consommateurs des placebos garantissant le vivre ensemble à la chaîne, que ce soit une carte postale, une guerre de voisinage, des noces d’argent, une catastrophe naturelle ou le réseau mondial des flux. Restons connectés peu importe le prix de l’hypocrisie pourvu que nous ayons l’ivresse de la fraternité. La communication n’est pas un moyen, mais une fin, enfin… avant que nous ayons besoin de nous appeler pour nous indiquer les uns les autres que nous voulons nous voir.
Le jour où le web s’arrêtera, je ne saurai plus comment perdre mon temps et avec qui partager mes instincts chronophages. Le temps, c’est bien lui l’axe central dans cette supercherie hi-tech. Comment en gagner, comment ne pas en perdre? Ensuite nous pourrons nous inquiéter de cet espace qui ne nous appartient pas. À s’informer les uns les autres jusqu’à l’overdose en créant le moins de contenu possible pour un maximum de visibilité, nous avons fait du vide une idéologie dominante tellement bien fragmentée en niches qu’inertie et underground en deviennent synonymes, et que chacun le défend ardemment. Avec la liberté totale comme œillère et la conspiration potentielle pour muselière, on peut maintenant tranquillement nous emmener en promenade dans le monde entier pour faire nos besoins – en haut débit, en sémiotique, en 3D – sans que nous n’ayons plus rien à dire.
Le jour où le web s’arrêtera, je repenserai peut-être par moi-même ou par les publicitaires, terminées l’assistance communautaire et l’influence sous tutoriels. Nous avons la prétention de croire que nous sommes dans un eldorado pour autodidactes, alors que l’on appuie sur les boutons qu’il faut, quand il le faut, que l’on remplit machinalement les cases avec nos identifiants bancaires, que l’on répond de la manière la plus canine au moindre bip de notre boîte de dialogue. Et si l’on ne s’en plaint pas le moins du monde en s’extasiant devant le nouveau gadget dont nous n’avons aucune utilité, c’est que la domestication a marché. J’aimerais bien être un de ces technophobes en mal de passé, mais je suis croyant, pratiquant et je constate que les religions inscrivent toujours en filigrane la menace imminente et permanente de l’apocalypse autant pour nous faire peur que pour nous maintenir en vie.
Le jour où le web s’arrêtera, je ne serai pas là car trop occupé à me chercher une importance quelconque – dans mon coma presque parfait – à écouter en boucle une compilation des enseignements de Snake Plissken sans pouvoir les mettre en pratique.
…Ouais…j’suis vraiment content d’avoir découvert ton site.
C’est riche sans être pompeux, j’aime le rythme et le style, moi ce genre d’écrits….et ben ça m’rafraichit.
..un texte où le bon sens est plus que présent…plus les « réseaux communautaires » de tout acabis et autre forum d’expression possible de son « humanité » s’exponentialisent, plus l’humain se « virtualise » lui-même devant ce clavier et son écran qui ne deviennent alors qu’en plus le véritable reflet de ce qu’il tend à être dans la poursuite de cette voie, inconsistant, binaire, programmé…à moins de couper le jus!..
la petite référence aux films de Carpenter nous ramène quand même à quasi trente piges en arrière!..et il est fort à penser que quelques d’entres nous n’auraient pas d’autres places que dans ces « pénitentiers » à l’échelle de mégapole, parmi les « faiseurs » de troubles et nos « outils » à l’ancienne, qui entre les dents, qui chaussant nos pieds, qui avec la rage pour détonateur…
..il reste à ne pas se dénuer de nos sens, une bonne poignée de paluches, une accolades, une bise rugueuse du rasoir non passé sur la joue d’un autre barbu, une bonne trinque et des verres qui se cognent, un moment d’amour dans des bras et un coeur et un corps chaud, une bonne discute qui monte en tension et finit en éclats de rires ou en rupture pour mieux repartir ailleurs, les mots qui claquent d’être hurlés, chantés, dansés, battus,détournés, vivant de vives voix!..le jour ou le web s’arrêtera?..ce jour là il ne sera plus utile d’avoir à se donner ou se chercher de l’importance, les autres, peut-être, devraient finir par en trouver une de ces raisons d’en avoir..calcul, vitesse d’analyse, un paquet de signaux électriques de partout, bug…..il faudrait donc sortir les doigts de la prise alors?!..
[…] » Article initialement publié sur l’Observatoire des sociétés mourantes […]
Il y a lien
et lien
l’intelligence est la capacité
à voir le même dans l’autre
à mettre de l’autre dans notre même
L’intelligence simulée (ils disent « artificielle »)
se contente
de la photo compressée (donc où l’analogie réelle a été évacuée) de l’autre
et parallèlement
d’une identité de surface substituée à celle qui intègre la profondeur … et donc cette insupportable douleur qui colle toujours à la vie.
Donc
pas tout à fait d’accord avec toi
sur le fond
sauf que
du fait de ta forme qui dément toujours partiellement le discours
tu suggères largement cette disparition du lien
dans la multiplication des liens.
L’hypertexte
qui le plus souvent automatise
et s’empare de ce qui est le processus même de la pensée du lecteur
est exemplaire de ce que fixe ta pupille ici
« Lit » « Perd » « Texte »