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Archive for the ‘36 15 Me Myself & I’ Category

La cellule sans barreaux est le design ultime de l’homme moderne. Que l’on se tienne en position du fœtus ou avachi, l’endroit donne un sens à la captivité. Chacun dans sa boîte, le plus loin possible des autres. Les portes oscillent entre la liberté arbitraire et l’insécurité séculaire. Alors, dès que j’entame le dernier tour dans la serrure, je tente de me convaincre que je peux m’en passer. Mais je suis l’homme du temps qui fuit, pas de celui qui passe. Je suis l’homme pragmatique qui préfère jouir au conditionnel plutôt que de témoigner du temps réel. Je suis l’homme urbain, à la vie bien cintrée, qui ne se soucie guère du charme passéiste de la campagne.

 

Pour tout dire, je n’aime pas, enfin je déteste, non, à vrai dire je hais la campagne et la dictature de la nature. À mon sens lorsque que les gens bien sous tous rapports me condamnent à un dîner bio sous prétexte d’un romantisme écologique, par idéologie de saison ou pour faire comme tout le monde, j’ai l’impression d’être un vestige cannibale baignant dans le cholestérol, enlevé par des écowarriors habillés par Agnès B. De nos jours, le premier des penseurs d’opérette ouvre sa secte gastronomique pourvu qu’il y ait un pèlerin à la soupe. Évidemment, ces VRP du bien, du bon et du beau ne peuvent s’empêcher de justifier leur mascarade alimentaire qui écœure n’importe quel smicard : « Tu sais, mon ami, il faut bien prendre soin de soi ! » En effet, des UV, une pute de luxe, une thérapie, ou manger bio, les gens qui ont les moyens de s’ennuyer trouvent toujours une solution pour faire de leur nombril un combat légitime…

 

J’aime le jeu, j’aime le risque. La ville réglemente au mieux mon existence, alors je joue parfois avec le feu et je me brûle toujours. Mais, apparemment, j’ai la réputation d’être un homme de parole. Et, dans mon métier, la parole, c’est tout ce que l’on a, donc je paie mes dettes. C’est ainsi que, la mine déconfite, les épaules lâches et le cœur las, je me suis retrouvé – entre les promesses de l’aube et le chant des éboueurs – à faire le pied de grue accompagné de mon nécessaire de survie en attendant les fameux gens bien. C’est la même histoire, à chaque expédition suicidaire au-delà de l’autoroute, dans le monde parallèle des départementales et des nationales apportant leur lot de malheurs biologiques, je suis victime des MST de Dame Nature. Démangeaisons nocturnes, allergies saisonnières, piqûres commanditées, morsures exceptionnelles. J’en suis réduit à une communion hypocrite avec la nature, prêt à l’abandon de ma raison en fixant la trotteuse de ma montre ou à une overdose de cortisone. Le week-end s’achève avec toujours le même diagnostic : le changement fait forcément du bien, alors que, me dit-on, je suis trop ethnocentré pour parvenir à le réaliser. Mais, lorsque le périphérique nous prend à la gorge, que le vivre ensemble fait de la pollution une aurore boréale, je reprends des couleurs. Et lorsque la symétrie reprend ses droits sur l’aléatoire et le provisoire, je sais que je suis enfin chez moi !

 

La ville je l’aime, à la vie, à la mort.

 

Mes matins sont faits d’ordre et de rigueur. Les choses sont à leur place. La vie devrait ressembler à mon dressing. Un monde sans guerre hygiénique ni misère morale, et encore moins de solidarité épidermique. Un pays où la centrale vapeur est le meilleur système politique, dès l’instant que chaque jour de la semaine correspond à la bonne couleur de la cravate assortie à la droiture jacobine des boutons de manchette. Dans ce petit coin de paradis en bordure de Lyon, je tiens en respect les valeurs criminogènes de la périphérie et la dégénérescence de la reproduction des élites du centre-ville. Personne ne viendra perturber la symphonie du balai urbain par quelques jérémiades territoriales que ce soit. Car il est huit heures juste, le temps de la danse des bouchons salutaire et des suppliques enfantines sur le chemin du savoir.

 

Quel spectacle ! Aujourd’hui, par la fenêtre, la ville rugit à pleins poumons cancéreux tandis que les automobiles – à crédit et en sursis – mugissent les unes derrières les autres en spéculant sur l’humeur des feux de signalisation. Selon les avis, le colosse tricolore est tantôt psychorigide, tantôt schizophrène, mais jamais, au grand jamais, équitable. Je le trouve rassurant, posté qu’il est entre la route gondolée et les bipèdes trop pressés. Il administre le boulevard des États-Unis comme un onusien, préférant le libre arbitre au code de la route, l’accident bête et définitif à la patience du viager. Fait du métal des rois, dominant son monde quitte à tutoyer les bouleaux, il a la peau couleur camouflage et granuleuse de l’expérience. Il parle peu, il dit oui, non, peut-être. En vert, en rouge, en orange. Et surtout, j’aime son conservatisme. Il n’a pas cédé aux sirènes de la modernité, un piéton rouge et un piéton vert, aucune voix de téléphonie rose prompte à nous faire croire au charme de la rue.

 

Huit heures trente tapantes. Les enfants sont rentrés à l’école, les pédophiles chez eux. Et la chape de plomb sponsorisée par Rhône-Poulenc se refuse à céder. Dès que l’étuve satisfait les fidèles dans la cuvette lyonnaise, Dieu rechigne à nous pisser dessus. Mais pas le temps de me reposer sur mes lauriers. Clac, clac, clac, clac, clac. L’armée régulière est de retour, les secrétaires de direction poignardent le goudron, qui ne demande que ça, pour rattraper le retard de la veille. Ces impacts se marient à merveille avec le chant en canon des petites cuillères quittant le café pour s’écraser contre les anses des tasses. Lorsque les terrasses de bistrot entrent en scène, c’est que les gens bien travaillent pour nourrir la ville et que les autres l’alimentent en anecdotes. La cité ouvre un à un ses chakras aux plus offrants, aux plus addicts de la caféine.

 

Le temps passe, malgré la monotonie. Les rideaux métalliques se lèvent pour ponctionner un peu de pouvoir d’achat dans l’anarchie la plus totale. Bien souvent cette cacophonie quotidienne est le moment propice pour profiter des rayons du soleil, qui se moque d’avoir des spectateurs. Mais parfois, je dois prendre part à la mascarade, il me faut sortir en pleine journée, durant ces heures mornes où l’on m’appelle Monsieur ! Certainement à cause de mon âge, peut-être grâce à mon ramage, mais parfois par égard à ces deux billes noires logées dans mes orbites, sans fin ni merci. Ces mêmes billes que mon patron rétribue et qu’il veut à sa table aujourd’hui.

 

Je n’ai que deux façons d’aborder la traversée de la ville : à pied ou en taxi. Je garde la marche forcenée pour la nuit, car elle est propice à la folie passagère, la fraternité imaginaire, ainsi qu’à la violence animalière. Mais, pour l’heure, le mammifère plantigrade que je suis opte pour le chauffeur de taxi en endossant le rôle de Miss Daisy. Il n’est jamais de bon augure de faire attendre son supérieur hiérarchique. Le mien est le type d’individu improbable, entre l’ancien ministre de la IVRépublique, le barbouze repenti et le golden boy londonien. Selon lui, on a le chauffeur de taxi et la course que l’on mérite. La manière dont votre pilote déchire l’asphalte est un indicateur de vos motivations intimes. Mais bien sûr… Et aujourd’hui, mon chauffeur parle le verlan, l’argot d’Audiard et un anglais de Kingston, signe, au choix, du progrès tangible de la mondialisation ou preuve que la tour de Babel tient dans un taxi. Lorsqu’il ne tente pas de faire la conversation, le bruit régulier et rassurant du moteur sert de bande-son à ces décors d’après guerre. Certains décors portent les plaques commémoratives de résistants, d’autres abritent des enseignants révisionnistes, et les derniers se réfugient derrière un lifting au nom de la modernité. La ville aime ses tatouages et ses cicatrices – parfois ostentatoires, souvent mérités, jamais superflus –, qui se reflètent dans la crasse du Rhône. Je pourrais donner un nom à chaque bâtiment, identifier chaque ombre, dater chaque ravalement de façade, et même célébrer dignement leurs anniversaires. Je divague, le regard plongé dans le reflet de la vitre, la barbe taillée à la perfection par mon artisan gascon, lorsque soudain le calme précaire se brise sans frappes préventives…

 

« Regarde-moi, comme si c’était la première fois ! »

 

– Qu’avez-vous dit, chauffeur ?

– Rien, boss, j’étais en train de céssu une pastille d’la gorge que ma girl m’a dégoté à son taf, c’est son pourliche à elle, boss ! Toute la journée sur ses arpions, elle court sans s’arrêter, elle étiquette des trucs, des bidules et des machins !

– Veuillez m’excuser, mais j’ai bien distinctement entendu une voix, une voix rauque et féminine. Une voix à la Macha, oui c’est précisément ce grain.

– Ça, c’est l’autoradio qui lâche des big tunes, boss. Moi, tous les jours, j’écoute Brigitte Lahaie, c’est la scientifique du zizi pan pan. T’as une grande imagination, trop de boulot. Tu sais, tu devrais…

 

J’avais déjà dépassé mon quota journalier de sottises avec un seul de mes congénères et, pour obtenir le silence, je le coupe et lui administre un :

 

– Passons, passons, passez par le quai et déposez-moi ensuite devant l’opéra.

– OK boss, pas de bla bla, de l’action. Yes I Man.

 

Une fois à destination, mais en retard sur mes cinq minutes d’avance réglementaires, je rémunère le spécimen en énergumène ou l’inverse. Je n’ai pas voulu regarder son visage, j’avais le sentiment qu’il ressemblait à ses mots. Après quelques pas militaires, me voici devant le restaurant. Je me dis qu’en sept ans de service actif c’est bien la première fois que le grand Raymond m’invite à sa table. Et pourtant je suis un de ses plus anciens éléments, de loin le meilleur dans ma catégorie. Et mon métier, peu peuvent le faire. Je suis son employé préféré, celui avec les deux billes noires. À cette heure, la ville se gonfle d’importance et de notes de frais. Alors que je m’encastre entre une table de francs-maçons municipaux et une réunion de DJ subventionnés face au grand Raymond, mon avenir va basculer en une minute montre en main.

 

L’entreprise, celle qui me permet de prendre l’avion pour aller de ville en ville à travers le monde, ferme. Comme ça, sans questions ni indemnités de licenciement. La voix caverneuse, le goitre tendu, les commissures des lèvres symétriques, son visage buriné dans la pierre depuis Mathusalem laisse filer un peu d’émotion en ordonnant à ses paupières de se fermer, une fois, une seule, pour les rouvrir au bout de dix secondes en laissant une grande expiration bordelaise et cubaine me fouetter le visage. Nous avons poliment bu comme des anciens combattants jusqu’à ce que la nuit tombe sur la capitale des Gaules. Après une étreinte étrange, il me donne finalement un petit papier où est inscrit l’ordre de mon ultime mission. Rien d’exotique cette fois, pas d’avion ni de bateau, l’adresse est de l’autre côté de la rue, en face de chez moi. J’ai jusqu’au petit matin pour m’exécuter. Plus de mots, que des ombres partant dans des directions opposées. Il me reste une longue marche cette nuit pour graver chaque instant jusqu’à mon dernier office.

 

La route est longue, la perspective se réduit. Les réverbères sous le régime de l’intermittence, la ville se drape de son côté obscur sous le regard avisé de l’astre que nul n’ira décrocher.

 

Si les cloches n’avaient pas la laïcité nocturne, il serait précisément l’heure du crime. Il y a des signes qui ne trompent pas. Les Britanniques d’occasion claquent du croupion dans leur jean slim dès qu’ils croisent un groupe de malades du myocarde aux casquettes brodées d’un reptile aquatique. Les nymphomanes contrariantes regrettent leur radinerie sur le tissu séparant leurs genoux du viol, tandis que les monogames crucifiés par de multiples maternités jouent à la scène de la nativité, avec du latex, sur la première Albanaise venue. Les uns iront faire des crises d’agoraphobie dans les backrooms que la ville a le chic d’abriter, les autres feront acte de misanthropie sur un banc, accompagnés d’un fond de bouteille. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, personne ne veut rentrer chez soi, dans sa case. À côté, au-dessus, au-dessous d’autres cases. Ce qui nous rappelle que la ville est une conséquence, et que chacun a le même problème. La peur du noir, la peur du silence, la peur du vide, la peur d’être seul.

 

Dans un moment d’humanité non désiré, la plus grande des avenues se mue en ruelle puis en coupe-gorge. Au royaume des ombres, la ville préfère le son à la matière. Les tressaillements les plus anodins sont source de toutes les phobies lorsque le monstre de pierre devient impalpable. C’est l’effet de la vision nocturne dû à la persistance rétinienne. Il faut bien se persuader de tant de choses pour ne plus avoir peur. À chacun son syndrome de Stockholm. Je l’aime ainsi la ville, sauvage, impartiale et sans remords.

 

Plus de batterie dans mon baladeur numérique à la mode et le vent se lève enfin. À force de longer les quais, j’ai rejoint le quartier chinois où plus personne ne parle cantonnais, puis le quartier arabe où le shit a connu une curieuse inflation, et enfin le quartier universitaire où l’alcool promet la pilule du lendemain. Et c’est en refusant une charmante proposition pour une quelconque colocation gauchiste à tendance cheguévarienne que j’entends une voix. La même que celle dans le taxi. Je stoppe ma marche, mais plus rien. Juste le sifflement du vent sec dans les arbres. Je n’ai pas suffisamment d’amis de mauvais goût pour avoir droit aux joies d’une caméra cachée, et le bitume me colle depuis si longtemps à la peau que je ne relèverai pas cette occurrence. Cinq cents mètres. Encore cette voix. Je me retourne en opérant une rotation complète, en slow motion, pour tenter de percer à jour la nuit. Bien sûr ! C’est ridicule, mais Michael Bay aurait apprécié !

 

Dans pareille situation j’incriminerais mon taux d’alcoolémie ou encore la fatigue, mais vu l’absinthe de substitution que j’ai ingurgitée et sachant que j’ai procrastiné toute la journée sur les réseaux sociaux… j’en doute. Je sens comme une certaine angoisse s’emparer de moi. Je serre machinalement ma mâchoire jusqu’au sang. Toutes les dix secondes je braque ma nuque brusquement, quitte à attraper un torticolis. Et la Voix revient. Une, deux, trois, dix fois. L’horizon, toujours pas la moindre réponse à mes questions vociférées à l’obscurité, comme le premier des illuminés. Puis j’arrête, pour repartir. Je perds mon temps et il ne me reste que trois petites heures avant l’expiration de ma mission. Les bâtiments murmurent entre eux lorsque le vent vient les frapper pour un peu de reconnaissance. Mais je sais bien qu’ils se moquent de moi.

 

Je décide donc de ne plus rien écouter, de presser le pas, de regarder droit devant sans vraiment fixer quoi que ce soit, parlant le plus fort possible dans ma tête. De tout, de rien, du PIB du Tadjikistan, de la course au titre pour le championnat du monde de catch, de la défaite de la pensée, de mon ancienne collection de cartes téléphoniques. Mais rien n’y fait.

 

Plus je réfléchis fort dans cette boîte crânienne qui ne laisse que peu de place à l’écho, plus je trouve une logique à cette Voix. Ce son apparaît dès qu’il y a une lumière. Et pas n’importe quelle lumière. Sur cet interminable boulevard, tous les cinq cents mètres il y a un feu un de signalisation, et avant lui un réverbère réglementaire. C’est entre les deux que la Voix se manifeste.

 

Je n’ai pas assez peur pour nier l’évidence et je ne suis pas suffisamment rassuré pour faire marche arrière. Aucune voiture à des kilomètres et, comme par hasard, lorsqu’on en a besoin, encore moins de ronde alcoolisée, statistique et pécheresse de la brigade anticriminalité. À ce moment, plus de nombril à congratuler et plus d’amour-propre à exposer, il ne reste que ce qui fait de nous des animaux différents, cette curiosité obsessionnelle…

 

À ma droite la civilisation, du bois, de la pierre, du ciment. À ma gauche l’inconnu, le trottoir, la rue et enfin le noir. Je respire par à-coups, mes narines se dilatent et se figent avant de se relâcher. Ma lèvre inférieure est pendante, mes sourcils sont braqués en direction du ciel. Ma gorge est sèche et ma pomme d’Adam réclame un plan Orsec. Je somatise au point de m’inventer de l’arthrite précoce et mon cœur expulse plus de corps étrangers qu’il n’en laisse entrer. Le son de ma voix est resté bloqué, ma tête et ma chaussure droite foulent ce territoire occupé par la lumière du réverbère. À ce moment-là, le feu passe au rouge.

 

La Voix surgit, comme prévu :

 

– Alors comme ça, tu comprends lentement, mais tu agis vite. Je suis déçue, je pensais que c’était l’inverse pour un homme de ta trempe !

– Heu… ha… heu…

– Bravo, des onomatopées, c’est tout ce que tu as à me proposer, vraiment ? Je me contenterais presque d’une phrase avec un vulgaire complément d’objet direct tu sais ! Je te propose une performance digne de Jeanne et du bûcher et toi, tu es là, les bras pendants sans rien dire. Tu es créationniste ou juste demeuré ?

– Eh bien, ni l’un ni l’autre.

– Mazette, c’est que le petit monsieur fait dans la concision. C’est la timidité ou la peur ? Hum, tu crois que je ne t’entends pas conchier la Terre entière comme si tu n’étais pas accidentellement de passage ?

– Je ne comprends pas. Mais si cela n’a aucun sens, en quoi mon opinion peut-elle vous intéresser ? D’ailleurs, pourquoi vous dérange-t-elle ? Je ne nuis à personne.

– Tu nuis à mon image de marque ! Les avis je m’en moque, nombriliste sur talonnettes ! Votre époque ne distingue plus le philosophe de l’idiot du village, et la postérité ne dure pas plus longtemps que le tube de l’été. Mais toi, depuis trente ans, jour après jour, tu condamnes le monde, les gens et l’histoire en mon nom. Tu es masochiste ? Tu sais, il y a les cultes pour ça, ou le mariage !

– J’expose simplement une analyse complexe d’un monde qui l’est encore plus !

– Modeste avec ça. Sérieusement, tu aimes à ce point le doux son de ta voix ? Si tu veux avoir raison et être seul, tu as l’ascétisme, les hôpitaux psychiatriques et les rochers – avec la vérité sous le bras en option.

– Je commence à perdre patience, bon c’est pas tout ça, mais je suis un homme moderne, j’ai un ordinateur tactile et il ne me manque plus qu’un skateboard volant, alors voyez-vous les miracles ce n’est plus ce que c’était. Donc voulez-vous, enfin, « toi », « eux », « ils », me lâch…

– Encore un excès d’esprit ! Eh bien, ce que je veux, si tu veux tout savoir, c’est te voir mort ce matin avant le passage des éboueurs, histoire que tu ne te plaignes pas une fois de plus de la coupe de leurs uniformes.

– La mort, rien que ça ?! C’est sentencieux, limite divin et totalement définitif ! Disons que je vais passer mon tour, ma grande, mon grand. Vous êtes brésilien, brésilienne ?

– Très bien, je vois que ton métier te place même au-dessus de ça. Alors écoute, je te laisse prendre ton rail d’adrénaline une dernière fois avant que tu partes les deux pieds devant sans passer par la case cirage de pompes.

– Bon, le mysticisme a ses limites. Je mourrai comme bon me semble, comme Romain Gary, David Carradine ou la carrière de Charlie Sheen. Au revoir, donc.

 

Agacé, je reprends mon chemin à vive allure sans m’arrêter. Je n’ai pas réussi à échapper au système métrique. Me revoilà au même endroit, mais plus loin, au centre de la lumière, entre le réverbère et le feu de signalisation.

 

Après quelques secondes de suspense, la Voix, la ville reprend son message prophétique :

 

– Ce matin, avant que la première poubelle ne soit enlevée sur le boulevard des États-Unis, tu seras allongé face contre terre.

– Alors, au choix, avec ou sans intervention divine, sur place ou à emporter ?

– Tu sais, j’ai tenté maintes fois de t’aiguiller sur la marche à suivre. Je t’ai même donné des exemples, mais rien n’y a fait. Plus je frappais fort, plus tu continuais. Tu dois avoir une piètre vision de l’amour. Quand, je pense à ton chien Belami. Et puis il y a eu ta femme, Chri…

– Enflure, enfoiré de fils de pute ! Crevure de je ne sais pas quoi !!!! Tu es en train de dire que tu as tué ma femme ? Tu as tué ma femme pour me donner une leçon ?

– Ta, ta, ta. Le petit monsieur perd son flegme et ses invectives feutrées ? Tu sais, nous nous ressemblons, j’ai fait preuve du même cynisme que le tien, et puis s’il y a une pute dans cette histoire, c’est toi. Seules les putes ont besoin de se cacher, ont besoin de protection, ont besoin d’une ville. Tu vas mourir, enfin tu n’auras plus peur. Remercie-moi.

– Je vais te crever, tu entends, je vais te crever. Te crever, te cre-veeeer enfoiré !!

– Voyons, sois raisonnable, je suis partout et je suis toi. Adieu.

– Reste ici enfoiré, toi, reviens j’ai dit, réponds-moi. Répooonnnds !!!

 

Agenouillé par terre, je suis resté sans voix, les phalanges contre le sol, toute l’eau du corps s’échappant inexorablement de mes yeux écarlates. Puis je me suis décidé à me remettre en route, fatalement, par habitude. Je reprends vie et cesse de la commenter comme si j’étais devenu extérieur à moi-même. Mon cœur ne bat plus pour rien. Je n’ai plus personne, mais je suis encore quelqu’un. Alors je fais la seule chose pour laquelle j’ai du talent et encore de l’affection : mon travail. Mon précieux travail est unique et saisonnier, illégal et humaniste. Je ne travaille que trois mois dans l’année, du 21 juin au 31 août. Je remplis une noble tâche qui satisfait tout le monde. Je crée de l’emploi, consolide les mémoires et bâtis des légendes. L’entreprise pour laquelle je travaille est spécialisée dans la postérité pour une clientèle très sélecte : chanteur, homme politique, acteur, écrivain, bimbo.

 

Les gens ne veulent pas disparaître des mémoires, des archives, de la Terre, de la ville. L’été est une période creuse et les personnes qui ont tutoyé le zénith ne veulent pas partir sans que nul ne s’en souvienne. Alors, quand ces célèbres anonymes veulent que leur nom leur survive, moi qui voudrais oublier le mien – Serge Nanette ! –, j’interviens. Ma profession est de tuer d’anciennes gloires durant l’été, lorsque l’actualité cherche dans la rubrique nécrologique un titre suffisamment gros et respectable pour son lectorat.

 

Pour ma dernière mission, Raymond m’a ordonné d’abattre un ancien défenseur central de l’Olympique lyonnais des années 1980. Peu importent les raisons du contrat, je remplis toujours mes obligations. Et malgré mes mains calleuses, je vise juste. Ma peau a la couleur de la terre, certains diraient que cela est dû à l’alcoolémie, mais ma maladie s’appelle la mélancolie. Mon visage vient d’une autre époque, celle des traits simples, des traits de caractère. Toute ma vie réside dans ces deux billes noires qui portent le poids coupable de mes cernes immérités. Et comme tout le monde, j’ai de la compassion. La mienne s’humanise dans mes sourcils broussailleux. Mon véhicule, mon corps, est en pilote automatique à la salle de sport et fonctionne à l’adrénaline, il n’y a que cela pour revitaliser mon âme. Je suis trapu comme un boxer et maniéré comme un châtelain. C’est dans ce paradoxe que survit ce maigre équilibre qui me rattache au monde des vivants. L’esthétique de la violence fait de moi un objet en puissance. Presque vivant, toujours absent.

 

Ma femme, premier violon à l’opéra de Lyon, est partie courant novembre, un soir de Ligue des Champions. Nul ne s’en est préoccupé. Qui est intéressé par l’opéra à part les bailleurs de subventions, quelques érudits endimanchés et les derniers adorateurs de l’exception culturelle peut-être ?

 

Mon métier tient autant de la mort que de l’art.

 

Il est l’heure. Discrètement, l’ancien joueur de football m’attend craintif dans son fauteuil de direction, le regard rivé à la fenêtre, vers l’aube persistante. La ville apparaît peu à peu, c’est la dernière fois pour lui. La rosée automatique faisant son office, la pénombre tire sur le taupe puis le bleu délavé, il a un rictus. Avant qu’il relâche celui-ci, ma seringue a déjà pénétré sa carotide avec un poison végétal de ma fabrication, que j’appelle Ivy. Tout son corps se détend d’un seul coup, délivré, plus personne à l’intérieur. Mais, pour les autres, il allait redevenir quelqu’un. Sa femme le découvrira apaisé, serein au milieu de tous ses trophées, de sa gloire. Alors je repars comme je suis venu, sans un bruit, sans une trace, sans un sentiment. Et au pied de l’immeuble de mon dernier client, immobile pendant près d’une demi-heure, ma demi-heure, j’ai eu l’impression d’avoir enfin derrière moi des choses, des gens. Je marche simplement, sans but précis, puis j’arrive sur mon ombre naissante entre le réverbère et la lumière. Et la Voix revient une dernière fois :

 

– Serge, il faut que je te parle, comment dire…

– Tu en as déjà trop dit, tu en as déjà trop fait. Il n’y a plus de mots, plus de vie, plus de choix.

– Écoute, je…

– Fais ce que tu veux, qui, quoi que tu sois ; je rentre chez moi.

 

Je fais un pas sur le passage clouté, encore orphelin, quand la vie me passe dessus sans avoir eu la courtoisie de s’annoncer. Le tombeau sur roues des urgences, appelé par la femme du footballeur, me percute de plein fouet. L’impact est bref, irrévocable. Il n’y a plus rien à faire. La logique a ce côté inextricable que le destin cherche en vain au travers de ses prédictions. La ville accueille une fois de plus la lumière dans son berceau de fer industriel et de béton armé. Et puisque chaque spectacle a une fin, les urgentistes gesticulent simultanément, mais je n’entends plus rien, sauf la ville. En chuchotant sur un ton maternel, elle me demande pardon :

 

– Mais pourquoi ne m’as-tu pas écoutée, je t’avais dit de rester sur le trottoir. Pourquoi ?

– Une question, une seule : que feras-tu lorsqu’il n’y aura plus personne pour croire en toi ?

– Eh bien je mourrai, c’est ce que j’ai toujours voulu, que cette histoire sans fin se termine.

– Dans ce cas, tu peux commencer à avoir peur.

 

Six heures trente-cinq, les éboueurs en uniforme fluorescent prospectent le boulevard…

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À un moment donné chacun d’entre nous, dans notre quête pour la vérité de tickets restaurant et d’un enterrement correct, avons eu une de ces addictions pour lesquelles nous étions prêts à faire n’importe quoi, par n’importe quel moyen, licite ou pas. Mon proxénète à moi brillait de mille feux à la limite de la crise d’épilepsie et s’appelait salle d’arcade, le lieu de prédilection au début des années 90 pour que les jeunes mâles accomplissent leurs rites d’initiation devant la tribu des hommes un joystick à la main.

Imaginez que j’étais prêt, la morve au nez, à sortir de l’enchanteresse promiscuité de la périphérie urbaine lyonnaise – dépourvue de transports en commun dignes de ce nom – quitte à marcher plus d’une heure ou à braver les contrôleurs pour le simple plaisir animal de mettre 5 francs dans une fente voire 10 en cas d’adhésion soudaine et désintéressée de certains à la « Fondation Souklaye : pour une enfance faite de violence virtuelle et d’un amour matérialiste».

La problématique avec le pouvoir, c’est que tout le monde le veut. Et à 10 ans et quelques pixels, être détenteur du titre de numéro 1 du centre commercial à Street Fighter IIc’est une gloire par procuration, être champion de course c’est une invitation à de futurs rodéos, mais être recordman de Tétris sur une borne d’arcade et s’en réjouir, voilà le genre d’attitude regrettable qui relègue inextricablement un enfant innocent dans le rôle piège de l’éternel vierge/meilleur ami. Bref, donc comme je le disais dans toute guerre qui se respecte, l’emplacement c’est le pouvoir. Je ne pouvais décemment – égotiquement, politiquement, culturellement – pas laisser d’autres enfants au pouvoir d’achat illimité truster ainsi la borne d’arcade Street Fighter II constellée de miasmes entre leurs mains potelées. Je me voyais dans l’obligation de mettre en application stricte les enseignements de Guile et Dhalsim au nom de la justice sociale.

Après une campagne victorieuse remportée à limite de l’abandon où nous boutions – dans la pure tradition Charles Martelesque –  les assaillants dans les retranchements de leur 6ème arrondissement natal, mes collègues prolétaires avec une paire de Nike Air et moi-même coulions ainsi des jours heureux à engraisser le gérant de cette salle de jeux. Le même qui, plus tard, nous interdirait l’entrée de sa boîte de nuit – aussi stupide qu’il faille être pour danser, se serrer à la limite de l’étouffement dans le noir avec des lunettes de soleil et accepter un cancer planant au-dessus de nos têtes telle une immense couche de fumée, la misère sentimentale est à ce prix. Moralité le crime ne paie pas, mais il permet de patienter jusqu’à la puberté. Je n’avais pas de 6ème sens, non, mais une paranoïa zélée, oui, et lorsque je n’ai plus vu venir les clones de Ricky ou la belle vie, j’ai senti qu’il se tramait quelque chose. Malheur, la borne d’arcade avait atterri dans leur salon un matin de septembre 1992, la Super Nintendo européenne était là !

En fin stratège – comme tous les enfants de mon âge qui lisaient Console + à vrai dire –, je m’attendais à ce que la révolution arrive sans dogme ni sang dans mon salon et entre le minimum syndical du chantage affectif d’usage, un peu de logistique le dimanche matin sur le marché et les perpétuels pigeons en quête d’amitié, la technologie nippone de pointe s’était durablement installée dans mon cœur et dans mon HLM. Que Dieu bénisse la loi du marché ! Je ne remets pas en cause l’impact industriel de la chute du mur de Berlin ou même encore l’émoi animalier qu’a suscité la libération de Nelson Mandela, mais que les choses soient claires : la Super Nintendo, par son héroïsme de plateforme et ses combats de rue, a réuni les peuples comme jamais – les possesseurs de Megadrive étant des sous-hommes, cela va de soi – en vérité je vous le dis !!!

J’ai pu assister à ce changement depuis mon HLM, dont j’ai toujours pensé qu’il servait de laboratoire tant le voisinage était organisé comme une bombe à retardement : les musulmans à gauche, les juifs à droite et une famille de noirs en haut, sûrement pour servir de détonateur. Moi, j’avais des voisins, je les aimais ou pas parce qu’ils avaient des caractéristiques de voisins – porte claquée trop fort ou talons trop bruyant dans les escaliers – et par la force des choses j’étais ami avec les deux côtés de l’immeuble. Mon ventre s’en souvient encore.

De mémoire de concierge tout allait pour le mieux du monde jusqu’à la première guerre du Golfe, mais Sadam Hussein et Jean-Claude Narcy n’ont pas eu raison de Street Fighter II. Et donc Daniel et Rachid, mes voisins, venaient partager l’oecuménique Coca-Cola tout en s’explosant joyeusement le délit de faciès à coup de flèches vers le bas + bouton R et en écoutant le plus sérieusement du monde Rage Against the Machine. Le conflit israélo-palestinien ne s’était pas encore exporté dans notre quartier, mais quand leurs parents respectifs se regardaient en chiens de faïence devant la boîte aux lettres, j’étais alors pris de panique et je me disais que les germes étaient déjà là parmi nous.

Nous avions un peu de répit avec la guerre de Yougoslavie, les réfugiés étaient parachutés dans notre quartier sans atterrissage garanti. Ils étaient la cible de tous et oui, la paix sociale et l’intégration passent forcément par la fabrication d’un ennemi commun. Les manettes s’usèrent, nos duvets s’épaissirent et d’après les vendeurs de culture, les jeux vidéo étaient source de violence ou de maladie. Mais nous, nous avions un nouveau système narratif à portée de main, plus que la victoire ou la défaite, c’était la création d’une histoire et d’une mémoire communes qui s’écrivait en appuyant sur Start. Mais la mort d’Yitzhak Rabin changea à jamais notre équilibre précaire. Heureusement que nous nous sommes appliqués à nous perdre de vue, sans évidemment respecter notre serment scellé sur un terrain de basket. Je n’ose imaginer l’ambiance et les civilités échangées dans la cage à lapin qui nous servait d’escalier après le 11 septembre…

Avec un peu de recul, ce qu’il me reste de ma Super Nintendo, hormis d’avoir perdu un peu de mon amour propre à Mario Kart et quelques Pascals laissés en offrande chez Micromania, c’est surtout des gens et principalement des lieux. Là où les politiques de la ville construisaient des complexes sportifs et dispensaient de la culture bon marché dans notre zone, sans internet, ni réseaux, j’avais dû par la force des choses trouver des adversaires ailleurs, dans la fange comme dans le cachemire. Mon initiation à l’autre, que je ne voyais guère qu’au travers de la télévision, elle s’est faite par Street Fighter II. J’avais jadis tenté l’expérience avec le piano mais ce fut un échec. Nike n’avait pas encore inventé Michael Jordan, donc dans d’innombrables salons et chambres j’ai trouvé du mépris parental et de l’amour virginal. Il fallait donc que je me rende à l’évidence riche ou pauvre, noir ou blanc, juif ou musulman, nous avions tous les mêmes problèmes, des sauvegardes quasi inexistantes, des fils de manettes jamais assez longs et une télévision toujours trop petite.

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…Feuille blanche, trop propre pour être honnête recherche stylo bic qui fuit plus qu’il n’écrit pour les marginaux négligeant les lignes quitte à oublier de se tenir à carreau, à arrondir les angles dans son pré carré millimétré, calibré, cambré jusqu’à être nez à nez avec le ciel, le regard collé à cette flaque d’eau sur le sol de cette ligne de conduite sous tutelle où l’avenir s’appelle Minitel, s’épelle par voyelle à l’hôtel, les culs et les cultes y sont voués, loués, l’esprit ne s’achète plus depuis que tout le monde s’assoit dessus, déçus, en dessous de vous, les sous sont le son à la mode pour échanger du temps contre du pouvoir aléatoire en parlant des miroirs comme on catalogue les derniers premiers à regretter ensemble, à se remémorer seuls dans le noir, dans cette pièce à l’abri de tout, de vous, de nous car à la dérive loin des rêves, il est si facile de prendre des virages pour des rivages, des grandes étendues inconnues où nager, où se noyer de l’infini à conquérir et personne n’aura à y atterrir, bienvenu c’est froid, c’est neutre, c’est lisse, peut-être même glacé, ce n’est rien, juste une feuille, une feuille blanche…

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« Je joue à l’animal domestique le jour, mais une fois le crépuscule en phase terminale, je deviens une bête de foire dans la cour des miracles »

Un bon Canut, c’est un Canut mort. Je tourne tellement le dos à la Croix-Rousse qu’elle a fini par disparaître, enfin jusqu’à ma prochaine obligation scénique. Que ne ferait-on pasdepuis un bout de planche pour satisfaire les besoins de voyeurisme du public et le syndrome pavlovien des applaudissements ? Pfff… les dites planches s’obstinent à pousser sur les tombes des Canuts.

Mais à minuit passé à la lisière de la place des Terreaux, il n’y a que les professionnels des coups et blessures et les amateurs d’adrénaline pour se donner en spectacle devant les charognards en Air Max. La vie nocturne en centre ville est un écosystème parfait où le vol à la tire cohabite avec les taxes indirectes imprimées à même l’addition. Pour sûr, la base de la luxure est la misère. Et pendant que les uns tanguent jusqu’à en effleurer le bitume, les autres enracinés dans l’ombre attendent une ouverture. Lyon dans toute son obscurité, ses artères festoient abondamment car c’est le standing qu’elle nous impose. Mais attention, dès que la dernière prostituée du terroir s’éclipse entre les premiers bus et la danse des rippers, il faut réendosser le costume terne et ordinaire de la vie en soldes et à crédit.

Au milieu de tout ça, dans la confusion la plus totale avec le reste de mon équipage ivre, je m’auto-interromps intérieurement :

«- Bla, bla, bla !

– Quoi encore ? Tu veux une camisole de force pour notre anniversaire ou tu désires le règlement de tes prestations de voix-off en cachets d’intermittent ?

– Non, cher moi, je demande de l’aventure collective, des péripéties inavouables et peut-être même un peu de sang sur un visage anonyme ou en plaisir menstruel sur un préservatif usagé…

– Haaaaaa !! Hardcore, sérieusement, tu as un vrai problème toi, la vie de punk dans la peau d’un terroriste supposé avec une afro, ce n’est pas assez pour toi ?

– J’avoue, je suis déjà las et depuis le 11 septembre tous les noirs ont arrêté d’être des arabes. Le prestige de la série limitée est terminé, gentil petit nègre au jean trop large ! Donne moi quelque chose de neuf, d’excitant, d’exaltant, de bandant ! Sinon tu connais la sanction, la folie tapera à ta porte avant que l’amour véritable homologué par les fleuristes ne soit venu te prendre pour le dernier des cons.

– Tu sais quoi, hum, si je survis ici avec eux jusqu’à mes 30 ans, je mangerai des légumes et des fruits, des tas, des tonnes, des gros, des petits, des parfumés, des gluants, des farandoles, le tout à une table et avec des couverts !

– Franchement tu te nourris de kebabs sauce curry sans salade ni oignons en intraveineuse depuis dix ans et si on t’ouvrait le bide on pourrait y organiser un open bar, alors je tiens le pari!

– J’ai bien dit si je survis.

– Allez, je te laisse à notre soirée, on se reverra devant la cuvette des toilettes demain ! Bisous.

– Je. Ne. Suis. Pas. Un. Homme. À. Bisous.»

Hum, le gay de service qui parle de son album qu’il parachèvera demain, toujours et encore pour faire son coming out, la liane à la voix rauque tout juste échappée de sa maison de disque, Casper le Stéphanois refaisant les dialogues d’une journée particulière d’Ettore Scola pour lui seul et enfin, le Juif programmant un groupe d’antisémites pour un festival subventionné me regardent d’un air médusé et inquiet parce qu’apparemment, cela fait plus de cinq minutes que je parle seul. Bref, passons, pour moi les vrais fous sont ceux qui chantent sous la douche.

Alors que les alcooliques célèbres rejoignent chacun leur vomitorium de prédilection, ma glotte se balance et hésite encore entre une biture traditionnelle et un bad trip new school. Après une fin de non recevoir à la porte du « Cochon sauvage » et « Du bec de Jazz », il nous faut revoir nos ambitions à la baisse, vraiment très bas. Et de ruelles surpeuplées en culs-de-sac pour coupe-gorge, nous atterrissons finalement au troquet que voulions éviter « Le… machin vert » —qui n’a de vert que le fromage dans les plats servis aux musiciens de passage. Enfin, j’ai du mal à me rappeler le nom exact. Par contre la patronne, un vrai poème de magazine gratuit jonchant les salons de coiffure et aimable comme un balai à chiottes avec ça! Un véritable petit amour de femme punching ball.

Cela fait trois bonnes minutes que nous sommes assis et je ne sais quel parti prendre entre l’appel de la vessie et celui de la noyade par fermentation. Mais avant que je ne songe à m’uriner dessus, la détestable tenancière fait une famélique apparition en nous lançant nonchalamment des cartes toutes collantes et son mépris affiché pour la clientèle.

Je suis sûr que vous voyez le genre de carte dont je parle, le truc illisible à la mode où les noms de cocktails peuvent figurer haut la main dans le Kamasutra ou sur l’en-tête d’un flyer pour une free party. Peu importe, moi, je veux de la bière rien de compliqué, de la bière à la bière, de la pisse de chat de base. J’ai bien trop bu pour reconnaître le goût de tel ou tel alcool.

Et attendant que le dit alcool finisse par sortir par un trou ou par un autre, j’enchaîne tout ce que mes comparses me transmettent un brin amusés. Le jeu en vaut la chandelle : remplir la bête jusqu’à ce qu’elle soit au point de rupture. Jouez, jouez, ce n’est pas moi qui y perdrai mon découvert !

Alertée par nos bruits et nos cris incessants, la patronne comprend enfin que c’est mon anniversaire. Et dans un élan de générosité commerçant, elle décide donc de m’offrir, de nous offrir…une blague. Elle s’assoit en bout de table en accaparant l’espace et l’oxygène avant de partir dans sa narration qui débute en pleine Seconde Guerre Mondiale et se termine dans un camp de concentration. Finalement en se retirant de la table face à notre silence, la tenancière conclut par un laconique : « Mes grands-parents sont morts dans les camps, donc je peux en faire des blagues, moi j’en ai le droit ».

Comment dire, au delà de la consternation œcuménique et hérétique qui est la nôtre, jamais l’expression tête à claques n’a pris autant de sens. Profitant de ce grand moment de solitude où elle retourne se cacher derrière son comptoir de misère, mes acolytes règlent l’addition alors que je redécore les toilettes hommes et femmes, de haut en bas, poignées incluses. Ah, l’appel de la vessie et l’amour pour l’art nouveau ! Ce soir aucune envie d’un au revoir hypocrite à l’aune du comptoir, un petit regard de travers collectif et nous désertons le mobilier façon Soho du pauvre et la bande-son trop lounge pour être honnête.

De retour à la case départ, dehors, pour conclure cet anniversaire. Nous marchons à vue à la recherche de n’importe quelle lumière et d’un bout de banquette. L’heure n’est plus à l’équilibre et au porté de coup. En descendant la rue de la République en direction de Bellecour, je partage quelques bières tièdes perdues au fond de mon sac à dos, à côté de l’ultime 1,5 L de Whisky Coca artisanal. Le jeu doit continuer mais le reste de la bande passe gentiment son tour pour me laisser engloutir la dite mixture.

Blurp ! La gorgée de trop, le pas de trop, l’aérophagie de trop. Dans un saut désespéré je réussis à atteindre un banc public avant de pondre une toile de maître contre la chaussée qui ne demandait pas une telle dédicace. L’œuvre en question récapitule toutes mes dérives alimentaires du jour en passant d’un rayon à un autre de mon épicerie favorite. Matraqué par le flash de la liane à la voix rauque tout juste échappée de sa maison de disque, les autres légifèrent sur l’instant et l’endroit précis où ma gouache à touché le sol afin de trouver un gagnant et un riche héritier.

Hé merde, j’en ai plein la semelle ! Cela fera un souvenir à l’inconscient qui m’accueillera cette nuit sur son canapé. Après quelques minutes je reprends la marche forcée et la bande me suit à distance de flash. Soudain le sol se dérobe à nouveau sous mes pieds et de banc en banc j’accouche d’une nouvelle pièce maîtresse immortalisée en numérique, comme il se doit.

Mais à force de jouer au Petit Poucet, je retrouve ma vision horizontale et, malheureusement, le sens du goût. Heurk! Gagné, j’ai de belles éclaboussures de mes entrailles sur mon seul jean ne donnant pas directement sur la partie la plus intime de mon anatomie et je ne parle pas de ma veste fétiche, ma seconde peau, qui a fait les frais des cruels rebonds proposés par la rigole lors de ma dernière offrande. Je fais dans le lavement home made !

Pendant que je cligne des yeux pour ventiler en vain mon cortex, j’aperçois la joyeuse et noble escouade qui a loué des Vélo’v pour s’amuser à traverser le plus rapidement possible le bassin d’eau près du carrousel sans y déposer un pied sous peine d’y être balancé. Qu’est-ce qu’on est pas prêts à inventer lorsque l’on a tout ce qui doit nous combler? L’idiotie est le signal d’alarme de l’ennui.

Devant ce spectacle aqua-pédalesque, je bave sans m’en rendre compte, réfugié sur mon banc d’infortune d’où j’effraye des membres de la contre-culture représentée par des freaks tatoués, percés, scarifiés —avec accord parental— mais qui n’osent croiser mon regard de chapelier fou. Ce soir j’ai l’alcool hilare, mais le problème ce que je ne suis pas quelqu’un de drôle…

Bye bye delirium tremens, ramené sur Terre par la peau du cul, il me faut me repentir jusqu’à la fin de ma vie ou sombrer définitivement dans le ridicule. À boire, j’ai soif, à boire. Mais à quatre heures du matin, ma session de body painting ayant assez duré, je réveille mes vieux démons tandis que la ville dort plus qu’elle n’assume ses bas instincts. Les pressions se cachent pour mourir et les alcooliques notoires ont déjà regagné leur bar de fortune dans leur salon HLM, entre la télécommande et la manette de la Playstation. Décidément, les bonnes mœurs et les grenouilles de bénitier égarées dans la nuit prient pour que je m’en tire à bon compte en s’affolant autour de ma dépouille. Puisque je ne peux être sauvé autant me saborder une bonne fois pour toutes et pour cette apothéose il me faut une taverne digne de ce nom!

Les hétéros rechignant à s’occuper de mon cas, les homos pourvoiront à mes besoins en sponsorisant mon suicide goutte après goutte. Le gay de service qui parle de son album qu’il parachèvera demain, toujours et encore, pour faire son coming out nous ramène alors dans un rade dont il a secret. Et au moins là-bas, on ne regarde pas la gueule ou le costume du client, tous égaux devant le croupion !

Toc, toc, toc, nous sommes accueillis par le patron, ventripotent, gueulard et rougeaud, un brin taquin, il demande quel est le but de notre visite à cette heure tardive. Sachant que son peignoir rose —à moins que ce soit le filtre vitreux sur mes yeux— laisse apparaître son auguste pénis en forme de tire-bouchon, il y a peu place à l’équivoque.

Et l’alcool se met à couler à flot, le stroboscope marche au ralenti, les plumes succèdent aux paillettes et nous chantons tous à tue-tête sur un tube d’Adamo bras dessus bras dessous ! Quitte à tomber comme un seul homme.

Après un petit pas de danse sur les Pet Shop Boys, j’ai dû faire une sieste plus ou moins longue sur le trône à jouer avec la mort. Toujours est-il qu’à la sortie du bar nous avons nos verres pleins à la main, des tentures dorées autour de nos têtes et des paillettes à ne plus savoir qu’en faire. Bref l’art de la fête et un souvenir digne de ce nom! Mais sans m’en rendre compte, le temps de tourner la tête, et certains sont déjà rentrés chez eux, je ne sais pas, je ne sais plus lesquels. Nos tentures flashy en guise de cape nous prenons le chemin du retour avec le gay et la liane. De perte d’orientation en chemin de transhumance nous arrivons à un lit trop grand pour nous trois et en essayant bêtement de philosopher devant le télé-achat, je m’écrase comme le World Trade Center. Et là, plus rien. Plus d’image, plus de souvenir, quelques bribes de voix et le bruit du flash. Quel anniversaire, cela fait des mois que je n’ai pas dormi dans un lit, hum, le paradis. Ne croyez pas en Dieu, mais dans la literie !

Le matin de ma vingt-cinquième année arrive plus vite que la nuit ne part et au moment de collecter mes petits bouts de mémoire, il ne reste rien, des bruits de verre, des courbatures inconnues, une extinction de voix et des éclats de rire. Rien vous dis-je, un parc Croix-Roussien, des bars épicuriens, un long périple puis une lumière blanche. Je reprends mes esprits, la tête dans le trône et le cul vers le ciel. Du mortier plein la bouche et les yeux grenadine, je tente de trouver des raisons à mes interrogations. Non, pas cette fois. Et puis, je me retourne dignement en demandant aux rescapés de la fine équipe s’il n’y a pas une bière qui traîne et peut-être même un bout de pizza froide…

 

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Inside my nombril (5) : 31/08/2005 – Part 2 : Orgie conviviale

Inside my nombril (5) : 31/08/2005 – Part 1 : Les Préliminaires

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« J’étais en retard, mais pas suffisamment pour être absent »

Rejoindre mon lieu de villégiature à pied n’est que pure folie vu la manière dont le soleil s’écrase lentement sur la cuvette lyonnaise au bord de l’asphyxie. Il me faut donc utiliser mon ennemi juré, le métro, plus précisément la ligne A. Celle-ci fait le grand écart entre le sang bleu et le droit du sol.

Étrange ligne de métro logeant en son sein les femmes de ménage et les Hommes ménagés. Mais attention, toujours dans des sens opposés, d’une rame à l’autre, d’une fin de journée prolétaire et à un début de soirée dorée, bref du grand Lyon. Heureusement que l’alcool unit tous ces gens là, le temps d’un rapport bucco-génital une fois le Beaujolais Nouveau venu. Bacchus réussit là où la Vᵉ République échouera toujours !

Mais retournons à mes extorqueurs de mobilité favoris, les TCL, comment dirais-je, les Transports en Communs Lyonnais… Je n’aime plus frauder —les couloirs sont plus longs à moins que ce ne soit moi qui coure moins vite— mais je rechigne encore plus à subir une levrette à 1,60€ même au nom de l’intérêt général. De plus nous avons un certain nombre de contentieux en suspens, je ne les compte plus, d’ailleurs les courriers pour amendes impayées finissent directement dans le vide-ordures. Payer un ticket ou une amende ? Tout dépendra si ce quinquennat fait dans l’amnistie !

Pour moi, les transports en commun ressemblent autant à un mitard qu’à une backroom. Le silence monacal côtoie les envies de métissage de certaines. Le temps séparant Charpennes d’Hôtel de Ville est déjà écoulé, alors l’ascétisme et la bagatelle devront attendre le chemin du retour, enfin… cela dépendra de mon taux d’alcoolémie et des envies de comédie des éternelles racailles en manque d’amour. Pour l’heure, j’ai un anniversaire à honorer puisque celui-ci refuse de me laisser le choix des armes.

À l’air libre, en captivité au centre ville, les badauds s’agglutinent devant l’opéra, et ce malgré l’heure apéritive. Toujours le même spectacle, une armée de gymnastes —plus occupés par la mode que par la technique— s’acharnent à tourner sur la tête pour en faire perdre quelques autres et obtenir une ovation de la part du banc d’otaries en faction devant les marches. Avec les années, j’aurais cru qu’ils finiraient par faire leur trou ou creuser leur propre tombe. Mais non, ni l’un ni l’autre. Foutus sportifs avec une étiquette culturelle! Et putain d’opéra ouvert à tous, pourvu qu’ils singent correctement les us et coutumes du lieu. De quoi pouvons-nous nous plaindre, la politique culturelle veut notre bien, et ce même contre notre avis. Hum… Peu importe, pour ce soir, mon champ de vision bascule de ma latérale droite à mi-hauteur vers plusieurs toits tutoyant l’horizon en défiant mon amour pour la symétrie. Décidément la Croix-Rousse, c’est aussi haut que loin.

Tout en ralliant mon point de chute, je m’interroge sur le choix de cette destination et à bien y réfléchir, il y a peu d’autres options. Vu le nombre de spécimens attendus aux réjouissances, vu le profil de ces derniers, vu la mentalité des tenanciers du centre ville, vu que le progressisme est plus un mot qu’une réalité, les festivités extérieures sont le meilleur choix tactique. Merci Gerard Collomb, j’en regretterais presque Michel Noir !

Oui, même les moments de simple allégresse font l’objet de calculs s’équilibrant entre la mentalité locale et les sondages de fin de mandat. L’art et la manière de construire de petits murs de Berlin sans que personne ne trouve rien à redire. Mais j’ai beau vociférer dans ma tête, la Croix-Rousse arrive à grands pas et l’altitude se faisant, le manque d’oxygène et la mauvaise foi me tiennent à la gorge. Plus je touche au but, plus je croise des artistes, des vrais, des pieds à la tête, en passant par une impression qui le stipule sur leur t-shirt. Apparemment « Artiste », c’est une maladie qui s’attrape par la mère et la Croix Rousse est un haut lieu de contagion.

Consciemment ou pas, j’ai oublié le bout de papier avec le nom de la place. Je navigue donc à vue, le radar en berne, le vent profitant des trous dans mes vêtements pour me donner un premier frisson. En plein coït thermique, je reçois une pomme sur le côté gauche de mon épaisse chevelure en même temps qu’une saillie commanditée par le besogneux :

« – Hé Fléau ! [ Ndlr : c’est mon doux petit nom ] On est tous là, au cas où tu essayerais de ne pas nous voir !

– Heu, non, mais assis en rond une bière à la main sur une pelouse, je vous ai pris pour des Croix-Roussiens ou pire des étudiants en histoire de l’art, my beg !

– Sérieux, t’as pas fini d’enfiler tes conneries les unes à la suite des autres, on est pas à la radio. T’es pas devant ton micro, débranche…

– Wow, je suis époustouflé. Et sinon ton charabia, il fonctionne à chacune de tes visites de la salle de l’ANPE ? 1 à 0 !

– Putain, s’il y avait un roi des cons, je voterais pour toi !

– Je dis ça, je dis rien, mais le concept du roi, c’est qu’on ne vote pas pour lui, non ? 2 à 0 !

– Vous allez arrêter tous les deux ! Gardez-en pour le reste de la nuit. »

Le besogneux et moi sommes interrompus par «l’authentique école», le mec de l’Education Nationale, notre caution morale de poche. Le reste de l’assemblée en a suffisamment dans la bouche pour ne pas prendre part ni partie à la joute en cours.

«L’authentique école» est accompagné de son sparring partner, l’éphèbe filiforme, qui évacue joyeusement par les narines les stupéfiants qu’il a savamment collectés dans sa salle de bain.

En balayant les membres de ma famille recomposée, j’aperçois en vrac, le white trash jouant avec son couteau serbe, le Libanais sponsorisé par Brice finissant toutes ses phrases par pélo, il y a aussi le gay de service qui parle de son album qu’il parachèvera demain, toujours et encore, le Britannique d’occasion observant plus qu’il ne parle, le cannibale gentleman tiré à 4 épingles, le verbe haut et la syntaxe musicale, la Sarah Bernard récitant des poèmes byzantins sans qu’elle y ait été invitée, sans oublier la liane à la voix rauque tout juste échappée de sa maison de disque, Casper le Stéphanois refaisant les dialogues d’une journée particulière d’Ettore Scola pour lui seul et enfin, le Juif qui nous rejoindra plus tard, car il doit programmer un groupe d’antisémites pour un festival subventionné.

 

[ Et puis il y a également les personnages secondaires qui devront m’excuser et ceux qui ne m’adressent aujourd’hui plus la parole craignant à juste titre que je ne leur réponde plus. Quant aux parasites et autres pique-assiettes… Ah, le temps, la distance, l’orgueil et leurs bons offices ! ]

Les souvenirs sont toujours meilleurs que l’avenir. Mais avant de tout oublier la tête dans un caniveau entre le balai des filles de joie albanaises et les simagrées de la BAC, je lève mon verre, enfin ma bouteille, à ceux faisant de moi un juste reflet.

Un speech, un seul, car l’alcool et moi nous avons cette passion commune pour le recueillement qui désagrège la glotte et embrase les entrailles. À la mienne! Le jour de gloire est arrivé et mon champ de vision commence à vaciller dès que mes yeux vitreux et mon large sourire Nicholsonien parlent mieux que mes chaleureux sarcasmes. Ce soir je fabrique un peu de mon histoire sans regret ni après. Les bouteilles se vident aussi vite que les packs, nous délestons l’épicier de sa réserve jusqu’à ne plus pouvoir articuler, si ce n’est pour rire bêtement en fixant son voisin tout en étant absent. Que du bonheur !

J’ai la gorge sèche et la face d’un ahuri. Je crois que c’est ce que nous faisons de mieux en vérité. Le reste pourra attendre demain et même plus tard, la tête dans la cuvette des toilettes. Poésie quand tu nous tiens.

23h30. Il est déjà l’heure des premières désertions, entre la domestication des monogames endurcis, les fous furieux travaillant avant que soleil ne se lève dans leurs usines, les amoureux des infusions accompagnées de théologie, les affabulateurs qui n’ont pas le foie de leur égo et les pauvres ayant le mauvais goût d’habiter en banlieue. Et moi et moi et moi… et quelques-uns prêts à défier jusqu’au bout de la nuit la physiologie la plus élémentaire. L’insouciance est un meilleur motif que le courage afin de repousser les limites du corps humain.

Quelques poignées de main, quelques checks chorégraphiés, quelques accolades, mais pas de bises, je ne suis pas un homme à bises. Bref un moment juste, des effusions authentiques qui s’extirpent des automatismes que les gens civilisés érigent en bienséance. Faire semblant est une religion, alors Happy Birthday To Me.

La loi du dernier métro ne fait pas de prisonniers. L’armée se disperse et l’alcool se tarit, puis les cadavres de verre réapparaissent émergeant de l’herbe à l’occasion des crises d’épilepsie des réverbères. Je n’ai rien pour l’écologie, mais refuse de laisser des preuves,  c’est une question de principe. Alors le roi d’un soir se mue en éboueur du matin. N’y voyez aucun paradoxe, appelons cela le rapport de force entre le révélateur et l’inhibiteur. La nuit et le jour.

Une fois l’espace public rangé comme il doit l’être, nous, les quelques rescapés, entamons notre baroud d’honneur, cul sec, sans vergogne, à la limite de la déglutition, pour le meilleur et pour le rire. Mais le rituel de la bêtise occidentale en pleine session d’autodestruction légale est interrompu par les inévitables forces de l’ordre. Celles-ci nous encerclent comme il est de rigueur en démocratie, avant de nous interroger sur nos motivations à nous situer à l’endroit où sommes présentement assis. D’une logique à une absurdité, il n’y a qu’un pas et une matraque.

Après un moment de réflexion —sur mon comptoir imaginaire— l’alcool redescend aussi vite qu’il est monté et oubliant que j’avais perdu ma carte d’identité quelques mois plutôt, je pars en pilote automatique dans une diatribe radiophonique qui angoisse sérieusement mes convives.

Bref, parmi les trois groupes de personnes en cercle sur la dite pelouse, pourquoi le courroux sécuritaire s’abat-il sur nous ? Est-ce par manque de dreadlocks blondes, du petit Chomsky illustré et de Djembé ou parce que nous ne crions pas en cœur en chantant du Tryo dans une béatitude suspecte comme les nymphomanes d’à côté? Nymphomanes ayant, soit dit en passant, offert leur service plus ou moins subtilement à diverses occasions durant la soirée. Si ces demoiselles veulent de l’adrénaline, je leur conseille d’aller dans un camp de Roumains du côté de Gerland. Ceci étant je ne les soupçonne pas d’être des professionnelles, mais des amatrices criant au viol au petit matin certainement.

Pas de réponses de la part des forces de l’ordre et plus de questions. L’anomalie que j’incarne doit suffisamment les déranger pour ne pas en savoir plus. Une invitation à quitter les lieux est formulée à notre encontre, nous obtempérons. Et puis selon moi, martyr ou fait divers ce n’est pas un choix de carrière qui offre des perspectives. Bref, grâce à Vigipirate et au 11 septembre les cons assermentés ont bonne presse et la tolérance sélective. Ces chers messieurs ont des quotas à remplir, mais ils ne peuvent se résoudre à avoir un emmerdeur public sur les bras. J’en prends bonne note.

En plein exode, poussés à l’exil avec une envie d’absinthe et d’asile, ils nous faut une oasis pour perpétuer quelques mirages. Les 12 coups de minuit viennent de retentir, pour le dernier métro il est trop tard et la meilleure des choses à la Croix-Rousse, c’est la descente. Alors pourquoi ne pas attendre le premier métro en investissant les dépits de boisson pour combler le temps et la cirrhose?

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  • Mardi 20 : 31/08/2005, Part 3 : La cigarette d’après

Inside my nombril (5) : 31/08/2005 – Part 1 : Les Préliminaires

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« C’est comme si c’était hier, j’avais une barbe de salafiste et une surcharge pondérale d’irréductible Gaulois… »

Au réveil, ma tête est quotidiennement encastrée dans la moquette couleur radio associative, sûrement en lieu et place des cadavres d’une famille d’acariens. Ma première vision c’est la collection de trous constellant la semelle de ma basket gauche. Et les effluves de celle-ci flirtent sans permission avec ce qu’il me reste de système olfactif. Putain d’acariens !

Il est 05h30, le jour de mes 25 ans et les stagiaires fourmillent déjà de l’autre côté de la porte. Ils s’affairent tant bien que mal à recopier scrupuleusement les dépêches AFP, qui seront redébitées machinalement au journal de six heures par l’un de ces apprentis sorciers avec une carte de presse à la place du bon sens. Je ferais mieux de me débarbouiller dans le lavabo lorgnant sur les toilettes — et les approximations de mes contemporains — avant que le quatrième pouvoir ne vienne quémander la prononciation d’un Premier Ministre renversé dans le Caucase ou le dernier gros coup du mercato. Oui, si Jules Ferry le pouvait, il ressusciterait pour se suicider. Mais je suis coupé dans mon fantasme par le philharmonique des fournitures de bureau et la chasse d’eau déjà fatiguée. Dormir, enfin vivre sur son lieu de travail, je le déconseille fortement, ne serait-ce que pour se remémorer que les choses ont une fin et un début. Que le travail, un jour, cela a été la santé. Que vos collègues, vos subalternes et votre patron ne sont pas qu’un paquet de conneries ficelé à la hâte par l’héroïsme politique et la liberté à tout prix, enfin surtout sur le dos des autres, spécialement le mien.

Mais avant que l’avenir du journalisme ne revienne téter maman, je célèbre dignement le jour de ma naissance avec une bière éventée à température ambiante et l’ultime représentante d’une pizza entourée par plus de graisses que de carton. Un petit-déjeuner de champion ! À défaut de cotiser pour ma retraite, je le fais pour mon cholestérol. Et comme j’ai la ventilation économe, je m’empresse de bâiller une dernière fois pour éructer à la face du monde mon amour de la fermentation. BLURPPPPP…

Après le toilettage de rigueur, je jette mon t-shirt de la veille à la poubelle. A 99 centimes le bout de tissu chinois XXXL, je gagne du temps et de l’argent en en remettant un neuf chaque jour que Dieu ou Darwin fait. Soyons sérieux, la laverie automatique regroupe deux catégories de gens, des pauvres et des étudiants, les premiers sont les voisins plaintifs de la radio et les seconds consomment mon oxygène en gémissant sur l’importance capitale de leur inéluctable rapport de stage.

Enfin propre comme un sous neuf, j’écoute d’une oreille les banalités dites objectives mais effectivement orientées, assenées par l’animateur de service, quand mon attention est retenue par une pile de dossiers de partenariat et un monticule de CV n’ayant pas saisi que prostituée c’est le seul métier digne de ce nom.

Entre ces deux prétendants à la poubelle sans tri sélectif se trouve mon chèque du mois, traînant depuis près de deux jours. Et oui je ne suis plus un héroïque bénévole, mais un employé résigné. Le plus caustique, c’est mon titre : directeur d’antenne. Hum, un directeur d’antenne avec un salaire à 3 chiffres, ça donne envie de rester stagiaire toute sa vie. Mais c’est également le prix de la liberté précaire !

Je sais, vous vous demandez pourquoi une personne normale avec un emploi de base dort sur son lieu de travail ? J’ai bien une réponse, mais elle me mènerait à la misanthropie ou à un mass murder. Alors disons simplement que lorsque mon interlocuteur — à la banque, à un entretien d’embauche, à l’agence immobilière — prononce de plus de trois manières différentes mon nom de famille, je peux entendre un « non désolé » avant de prendre congé avec le sourire. A croire que l’équilibre républicain dépend de celui-ci sous peine de voir fleurir le racisme ordinaire chez mon prochain. L’égalité des chances, c’est comme le droit du sol, ça n’existe pas.

Aujourd’hui, grâce à ce chèque à faire mourir de rire les minima sociaux, je vais pouvoir éponger ma dette chez l’épicier et compléter ma collection de T-shirt Décathlon noirs. Parfois dans un accès de folie, j’économise dans l’espoir vain d’acheter un paillasson à message ou ce genre de plaque avec son nom, au cas où l’on perd son domicile. Happy Birthday to me !!

Je ne suis pas vraiment fétichiste, alors vouer un culte annuel à l’utérus de ma génitrice, très peu pour moi. Sans oublier que le caractère de la vie est un peu surfait lorsqu’il mène au fanatisme diététique et chirurgical. Ma vie, elle est tout ce que j’ai, mais je ne crèverai pas pour elle pour autant.

Vous savez, je ne suis pas un homme à famille, je suis un homme à équipe. Avoir quelqu’un pour protéger ses arrières, cela peut-être plus salvateur que des noces d’argent. Mais parfois la camaraderie la plus fidèle tourne à la pression sociale, voire morale. Apparemment fêter son quart de siècle ça n’arrive que deux ou trois fois dans l’existence, comme un « Bonjour Monsieur » lors d’un contrôle de police. Il faut donc le célébrer et le savourer. Jusqu’à la lie, jusqu’à la bile.

La perspective de normaliser mon alcoolémie au nom du « tout le monde le fait » ne m’enchante guère. De plus je n’ai besoin de rien, ma vie tient dans un sac à dos que je porte telle une carapace durant mes trajets interminables d’une périphérie à l’autre, à la recherche d’un coin de canapé. Oui, je le confesse, j’ai passé l’âge jouissif des courses poursuite avec les contrôleurs dans les coursives du métro lyonnais. J’estime avoir tenu le coup jusque-là et je n’attends rien d’autre de cette farce pour gens trop sérieux.

Alors pourquoi diable allais-je céder au tribalisme pâtissier accompagné de son hymne plus subliminal que convaincant ?

Je crois que l’affaire s’est entérinée comme cela si mes souvenirs sont bons :

« – Attend, Sylvain, on va passer du bon temps ensemble, on va boire et s’amuser !

– Premièrement, je vois ta tête de white trash tous les jours et secondo si l’amusement est consécutif à l’alcool, comment dirai-je ? Hum tu as une vision positive du suicide ! Et puis le delirium tremens et la liquidation de nos foies, nous faisons déjà ça tous les soirs.

– Non mais t’arrête jamais avec tes théories à la con et ton charabia à stagiaires, amuse-toi deux minutes, juste une fois pour changer ! Et tu vas faire une overdose de flegme, tête de chien !

– Je ne peux pas être plus jouasse qu’aujourd’hui, j’ai regardé les infos nationales et je me dis que j’ai le choix entre la trépanation ou l’expatriation si je ne veux pas me radicaliser…

–  Non mais de quoi tu parles négro ? C’est ton anniversaire, un truc simple, avec tes potes, rien de plus ! Va pas chercher midi à quatorze heures ce qu’il y a sous le bout de ton nez !

– Je t’ai pas dit que j’ai perdu ma carte d’identité, ce n’est pas que j’ai peur de sortir, mais bon finir le glorieux jour de sa naissance au poste, c’est…

– La ferme, bla, bla, bla, tu vois mon gun là, je te le pointerai sur les couilles jusqu’à ce que tu dises oui ! Et en plus, c’est pas toi qui payes !

– Tu sais ma pingrerie, ça c’est un vrai argument et ton flingue se baladant de mes narines à mon entrejambe aussi. Ok, vendu je ferai tête de gondole à la fiesta…

Sachant que le spécimen en question se balade parfois éméché avec son arme, je me prépare psychologiquement à fêter je ne sais pas quoi et en public qui plus est. Une armée de gens heureux pour moi, comme ça naturellement, comme on leur a enseigné. La spontanéité automatique, il n’y a que ça de vrai pour vivre avec des souvenirs standards.

Mais il me reste une journée à abattre, à moins que ce ne soit l’inverse.

Une radio associative c’est comme un corps humain, depuis le début ça dysfonctionne. Le tout est d’osciller entre la jeunesse idéologique et la sagesse matérielle sans finir soi-même dans le formol. Et puis la dernière semaine d’août est particulière, elle cristallise les séquelles de la grille d’été et les bégaiements de celle de la rentrée. Précisions approximatives et vrais faux départs en série, bienvenue dans la mécanique humaine.

Du coup je dois préparer mon émission estivale pour honorer mes dernières interviews, tout en jonglant avec le retour de mon magazine culturel du soir.

La routine me direz-vous, mais entre les fins et les débuts de contrat, les pannes d’antenne, les bugs de Protools, les ultimes partenariats, toujours eux, à signer et les sempiternelles complaintes de la voisine — en peignoir rose gériatrique — dont le mari refuse définitivement de mourir, je me rends compte que même en traînant les pieds il est l’heure de la normalité annuelle avec des bougies à souffler et 3 grammes dans le sang à ingurgiter.

Et puis surtout, le lieu des réjouissances a été choisi collégialement à mon insu, la Croix-Rousse. Je hais les Canuts, je hais la Croix-Rousse, encore plus que des Stéphanois.

Et je ne parle même pas de ceux présents au dit anniversaire, si vous saviez…

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  • Lundi 19 : 31/08/2005, Part 2 : Orgie conviviale &  Mardi 20 : 31/08/2005, Part 3 : La cigarette d’après

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Mon anniversaire avait une fois de plus avalé son bulletin de naissance. Culs de bouteilles fracassés sur le bitume, concours d’immolation de bougies et bile pour tous. De la célébration à l’autodestruction il n’y a qu’un pas !

La rentrée était déjà bien déflorée et les charlatans en tout genre offraient leur croupion, au nom de l’art, à qui voulait bien l’acheter chez le disquaire ou chez le libraire. Rien de nouveau en somme, si ce n’est les feuilles guettant l’arrivée légitime de l’automne pour un suicide collectif.

Pour tout vous dire, je n’avais pas le caractère d’un boy-scout, ni l’ambition d’un mouton et encore moins la mentalité d’un oncle Tom. Alors lorsque mes congénères se promenaient fièrement et libres, un diplôme autour du cou en direction d’une voie universitaire et d’une intégration par l’argent à la clé, je soufflais et haussais les épaules. Je ne pouvais me résoudre à prendre ainsi ma place dans l’abattoir républicain ! Et après une fraction de seconde de réflexion, j’avais décidé de mettre un terme à ma carrière scolaire avec un C.A.P. pour tout héritage et un mépris certain pour les vendeurs d’égalité et de chance. Les dés sont de toute façon pipés. Excepté que moi je ne joue pas, j’épargne… Enfin j’épargne les tricheurs. Entre la laisse institutionnelle et les liasses criminelles, j’avais décidé de ne pas choisir tant que mon ventre m’en donnait encore l’opportunité.

Ce jour là, j’étais au magasin, il y avait un show-room ?! Oui j’étais devenu vendeur sur un malentendu, avec mon sourire de croque-mort et ma chaleur reptilienne, j’avoue avoir eu tous les éléments pour ne pas survivre à ma période d’essai. Mais le patron des lieux m’a gardé, enfin, m’a gardé une place sur son étagère entre sa bourgeoise de l’ouest lyonnais, son criminel d’oncle mi-boxeur mi-ballerine et quelques signes extérieurs de détresse pour nouveaux riches. Il accomplissait ainsi le rêve de sa vie : avoir un pote noir… À chacun ses frustrations.

Je n’en demandais pas tant, que mon employeur soit ma pute. Il lui fallait un point de vue nègre sur quelque chose. Cette fois la nouvelle moquette qui supportait son canapé blanc dans la réserve du magasin était en question, la même que dans Scarface ! C’est vous dire les ambitions culturelles de l’intéressé. Bref, loin de moi l’idée de lui indiquer que Mondial Moquette n’avait aucunement contribué à la mystique du film de Brian DePalma. Mais bon, ne rien foutre de l’après-midi était un projet de société comme un autre.

En déambulant l’oeil hagard et la digestion omnipesante dans les allées et les aléas d’un monde moquetteux, j’avais perdu la notion du temps et l’espoir de revoir la lumière du jour avant son terme. J’avais l’impression de tourner en rond, un genre de piège à con entre le marathon et le labyrinthe.

Mon patron s’adonnait à son jeu de prédilection, l’auto-satisfaction ou comment avec le carnet d’adresses de papa et l’argent de maman construire de ses propres mains un empire dont lui seul connaissait l’existence. Dans ce petit monde, tous les «ils» et les «eux» voulaient devenir lui, le «Je» !

Avec l’expérience je finissais par glisser avec une certaine maestria les «hein, hein», les «c’est clair» et les inéluctables «t’as raison», histoire d’achever les digressions de sa masturbation à poumons déployés. Lorsque soudain la séance de sucess story s’interrompit par l’arbitrage de mon portable.

À l’autre bout du fil mon acolyte, Doudou pour les intimes. Alors que nous avions rendez-vous au playground derrière la Part-Dieu pour une partie de street-ball sans foi ni loi, l’intéressé me rétorqua qu’il ne pouvait pas y être, d’une voix angoissée, agacée, effrayée et franchement nerveuse.

Une fois le silence passé et devant mon ironie coutumière, Doudou prononça lentement la sentence :

« – Des terroristes ont fait exploser le World Trade Center avec un avion…

– Arrête tes conneries, tu t’es pris pour Joel Silver ou quoi !? Dis moi plutôt que tu as prévu une partie de bagatelle sur fond de R-Kelly à l’arrière d’une voiture, hein ?

– Non, Sylvain —rares sont les fois où mes proches perdus dans mon enfance m’appellent par mon prénom— il y a eu un attentat à New York, les tours jumelles ont explosé, comme ça, comme je te le dis, c’est tout. Nous sommes en alerte orange à la caserne, nous devons nous préparer au pire. Je vais faire tout mon possible pour rassurer les gens, on reçoit des appels de panique depuis une heure. Je ne sais pas comment va finir cette histoire encore, mon frère. En fait, je ne veux pas le savoir. »

Je crois que c’est l’une des dernières fois où je lui ai parlé, la faute au temps. La faute à la dictature du choc des civilisations.

La haine populaire nous a écartelé jusqu’à nous séparer. Pfff, je crois que ce jour-là ma barbe et moi sommes devenus musulmans dans le regard des gens, cela sonnait comme une promotion dans leurs pupilles à vrai dire. Le bamboula les faisait rire, le barbu silencieux, non !

Quant à Doudou, il n’eut plus le luxe de sourire. Difficile d’être pompier et de s’appeler Rachid juste après le 11 septembre…

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« Jeudi, 30 Août 2001, minuit pile, terrain de basket-ball derrière la Part-Dieu, fin d’une partie en solitaire, pause gorge sèche et poches vides»

L’été fut meurtrier et la vérité ne fait pas de prisonnier. Et puis l’amitié pris tout son sens dans la trahison parce que l’amour ne tient qu’à un préservatif. Quant à la mémoire, elle s’arrangeait de nous pour mieux nous survivre. Alors je l’écrivais puisque les mots n’arrivaient plus à sortir de ma bouche.

2001 l’odyssée de l’espèce, l’année de tous les viagers où j’ai commencé à cotiser au nom du conditionnel et de ce réflexe pavlovien communément appelé «bonheur». J’y ai perdu mes dernières illusions, pas mal d’ambition, un peu de ma passion, tous les membres de ma famille d’adoption et beaucoup trop de Kleenex. Voilà pourquoi il n’y avait plus personne pour scorer avec ou contre moi ce soir. Pas d’épaules sur lesquelles se reposer et encore moins  de regards francs pour se rassurer. Rien. Il y avait juste cette persistante impression de deuil, sans savoir encore vraiment ce que l’on a perdu. Et ce pour combien de temps ? Pour tout le temps !

Tout autour de cet instant, une épaisse et envoûtante pénombre jonglait avec un trio de réverbères pour donner un peu d’espoir aux imprudents visiteurs de son mystère. Parfois on ne revient jamais du noir. Personnellement, je l’aime, enfin je l’apprécie assis, las et résigné. Je le vois sans l’apercevoir. Je l’effleure constamment. Il m’entoure, m’enterre, me fait taire quitte à tout oublier. Et dans ce silence total, honnête et précieux, je sentais de la vie là où l’on en voulait pas, sous mes paumes, sur le cuir de mon ballon de basket-ball usé et rugueux. Je crois que ce soir là, j’ai commencé à donner des noms aux choses en leur parlant et elles de me répondre.

Je l’ai serré dans mes mains déjà tendues, crispées et tétanisées. Je l’ai pressé, secoué, empoigné, pressurisé, puis relâché du bout de mes empreintes digitales. Mais il n’a pas bronché, il est resté le même. Froid, calme et flegmatique. Chacun de ses rebonds arbitrait le temps qui résistait dans la pénombre et dans son ultime saut de l’ange —avant de rouler péniblement au ralenti— le ballon me demanda pardon :

« – Je suis désolé, pour toi, pour ta perte… Pour la fin, enfin pour tout ça à vrai dire…

– Hein, ha, tu crois vraiment que tu me parles ? Hein, tu le voudrais, mais en vérité, je suis simplement fou ! Fou de rage ! Fou de haine ! Fou de vide ! Et pourquoi me présentes-tu ton mea culpa au juste, Monsieur de cuir estampillé NBA ?

– Appelle-moi par mon nom, je sais que tu m’en a donné un… Prononce le, cela te fera du bien… Tu pourras passer à autre chose… Tu pourras tout oublier et même mentir…

– Sdl*, c’est ton nom, voilà, t’es heureux maintenant ?! Tu veux un médaillon et un peu d’eau bénite ? Mais sache que je ne veux pas aller bien, je ne veux pas oublier, je veux que tout s’effondre quitte à m’ajouter à la liste des décombres !

– Et pour quoi au final ? Une petite vengeance fraternelle ? La recherche sans fin de l’égo perdu ? Des coupables à blâmer ? Des cibles à atteindre ? Une reconquête à planifier ? Les choses sont faites pour se terminer partenaire, sinon elles ne sont plus des évènements et encore moins des sentiments ! Et à partir de là, il n’y a plus de temps et plus de conjugaisons pour combler les mémoires…

– Bravo, j’applaudis ! Splendide, merveilleux, profond, touchant ! De la merde oui ! Tu vois cette lueur dans mes yeux, elle est tout ce qui compte et qui me fait avancer chaque jour coup après coup !

– Si tu crois que la haine sera toujours ton moteur, c’est que tu n’es pas la machine que tu crois…

– Je ne crois pas. Je ne crois plus. Je collectionne les cicatrices et je prends du bide, c’est tout. Et puis joue au lieu de parler, pendant ce temps j’éviterai de penser…»

Enfant j’avais un ami imaginaire, depuis cette nuit-là il ne me reste que la folie.

*Sujet d’élite

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« Mercredi, 1er Aout 2001, 23 heures et quelques grammes dans le sang, terrain de basket-ball derrière la Part-Dieu, fin d’une partie qui n’a jamais commencé, pause 8.6. avec expédition punitive »

I Love This Game.

Le jeu de la mort sans aucune danse, juste une bouteille dans une main, le ballon dans l’autre et un terrain toujours trop grand pour entreprendre une quelconque tentative de shoot en extension en direction d’un panier marchant à reculons. À ce niveau là on n’essaie plus, on s’acharne. Mais l’alcool donne plus de courage que de lucidité.

Et par l’une de ces nuits d’août dispensant autant d’insomnie passagère que d’angoisse sociale, le mauvais génie vint me chercher en bas de ma tour à l’heure fatidique de l’infusion. Ce timing séparant les hommes par l’horizontale ou la verticale. Nous empruntions une route à l’abandon en rodant dans les ruelles du centre-ville — éventré de ses gens — au volant de la délinquance assistée à coup de 16 mesures assassins en 44100 Hz, s’il vous plaît.

Après notre halte de prédilection sur le playground de pèlerinage, deux choix s’offraient à nous : rentrer mourir — un peu mais pas trop — contre un matelas ne répondant jamais à nos dilemmes de soiffards ou combattre le code pénal et le système solaire en fonçant tête baissée dans la nuit nègre sans cause précise. Et peu importe s’il n’y aurait plus de soleil à voir en bout de piste. Nul ne se souviendra de nous, alors pourquoi faire semblant encore cinquante ans ? La romance n’avait pas sa place dans notre dramaturgie, nous ne vivions aucune bohème, juste la galère la plus crasse.

Le mauvais génie se leva d’un coup d’un seul, malgré la gravité et la fermentation, pour se dresser au-dessus de ma tête au bord de l’implosion et m’intimer l’ordre de ramasser ce qu’il me restait d’humanité et d’aplomb pour me mettre à la place du mort et entamer une séance de karaoké à m’en faire rompre les cordes vocales. Merde les punks envieraient presque notre passion pour l’autodestruction ! Les crissements de pneus et l’abus de basses agissaient comme des marionnettistes sur ma nuque, alors…

Et si, en dépit de ce projet de société sans avenir, j’avais l’idée saugrenue de refuser l’offrande, mon jumeau démoniaque m’aurait chuchoté doucement, lentement et méthodiquement en s’approchant de mon visage décomposé :

« – Pourquoi enfoiré, hein !? Dis moi pourquoi tu refuserais de m’accompagner sur le chemin de l’enfer ?

– Disons que primo là tout de suite, lui dirais-je, j’ai une bouteille à la place du libre arbitre, secondo l’enfer est une conception un peu trop carcérale pour être divine et tertio tu sais que je t’aime, mais ton haleine de pilier de comptoir par pitié, ailleurs… Parler avec ton cul ne te réussit guère !

– Ha comme ça on fait la fine bouche, on joue sa mijaurée, on fait sa coquette espèce de biatch ! Quand tu avais bu cette bouteille de rhum La Mauny cul sec, tu devisais un peu moins Monsieur «j’ai des états d’âme», Monsieur «j’ai une conscience», Monsieur «j’ai un avis», Monsieur «j’ai laissé mes couilles dans la bouche de quelqu’un d’autre» !!!

– Hein, quoi ? Mais t’es un grand malade toi, lui aurais-je asséné. Le goût du danger, c’est une chose, mais si on ne le met pas en perspective avec l’avenir, quel est son intérêt ? Hein, monsieur «je parle plus vite que je ne bois» ! Perdre l’usage de mes tympans ok, mais pas de mes tempes ! Je veux bien stagner en ta compagnie, mais l’état végétatif très peu pour moi !

– Hum t’as peur de quoi soldat ? Hein, dis moi !! De rater la vie que tu n’auras jamais hors du quartier, tu tournes le dos à la mort, hein ?

– Non, je ne la crains pas, ma gueule, et à tord ! Mais j’ai peur du souvenir… Et tu devrais aussi…»

Le silence qui aurait suivi aurait bien valu un enterrement.

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« Jeudi, 19 Juillet 2001, 21 heures et des poussières, terrain de basket-ball derrière la Part-Dieu, fin d’une partie virile mais correcte, pause H2O et moments de vérité »

Les mains sur les hanches, le visage plus que constipé et les respirations sous assistance, je laissais à mon seul corps la responsabilité de ses actes. Je suis pilote, pas mécanicien. Putain j’avais le poumon gauche calciné, le droit avait perdu sa rustine durant la bataille et je n’avais plus de force pour les cracher, les mains et les genoux encastrés dans le granit. Hum, j’aurais pu comme tout le monde avoir des problèmes de santé, mais je possédais plutôt une forte addiction à la junk food. Moralité le kebab est plus mortel que la cigarette.

Le ciel Rhône Poulenc de la cuvette lyonnaise finissait par se draper progressivement d’un bleu cartouche. Et durant ce point de bascule entre la dispersion des effectifs retrouvant leurs rombières et les réverbères touchés simultanément par l’illumination, il ne restait guère que le mauvais génie et mon sac à dos pour écouter d’une oreille distante mes interminables digressions. Et oui, il n’y a qu’un ami pour faire semblant, les autres vous ignorent tout bonnement !

Nous devisions le sourire en coin sur le grabuge qu’avait provoqué Loft Story chez les sociologues en goguette, tout y en voyant un signe de la fin du monde en prime time dans ce tas d’immondices logé dans la bouche de tous les Français. La gourmandise est un vilain défaut et un sacré défi.

Nous allions atteindre le paroxysme de notre débat en évoquant la partie de l’émission portant sur les néologismes lorsque nous fûmes interrompus par une saillie familière. Le genre de voix qui vous prend deux à trois heures de votre vie que vous ne retrouverez jamais, le pire c’est que durant cette séance, nous n’avions que peu droit au chapitre. Et oui nous n’avions que 21 ans, c’était déjà pas mal vu notre pédigrée mais pas suffisamment pour lui.

Et tout droit sorti de la pénombre – en provenance directe dont ne sait où – nous vîmes apparaître le svelte et retord renard des faubourgs. Le genre de spécimen préférant les questions rhétoriques aux réponses toutes faites. Le type d’énergumène opinant du sous-chef avec un large sourire comme pour indiquer à tous les contrevenants que leur part du dialogue n’est qu’un ultime moment de répit dans son monologue à deux places. Attachez vos ceintures. Le pas aérien, le corps miraculeusement en équilibre, ses longs doigts frémissaient de préliminaires et de programmation neurolinguistique. Il s’approcha alors à portée de débat, puis sans même nous serrer la main, il entama les hostilités :

« – Alors les jeunes, on fait dans la moralité républicaine au lieu de parler de contrôle social ?

– Heu non, nous parlons de Loft Story !

– Ha bah non, mon duo décadent préféré, réfléchissez ce n’est pas une question de télévision ou de programme, l’enjeu c’est le gardiennage démocratique !

– Ouais ouais, je vais vous laisser discuter le négro et toi. Les histoires avec des mots à 7 syllabes, très peu pour moi et puis il fait soif ! Allez, à la revoyure, le mauvais génie prit la tangente aussi vite qu’après l’un de ses adultères par omission.

– Puisqu’il ne reste que nous deux mon cher Sylvain, revoyons ensemble ta grille de lecture. Pourquoi diable d’échines-tu contre Loft Story ? Tu as du temps à perdre ?

– Heu et bien, disons que c’est une fidèle photographie de l’époque et du pays. Et, en outre, ce n’est pas un problème de cliché, mais de sujet, je trouve cela très dérangeant de vivre en pleine cour des miracles ! Ce n’est pas la société du spectacle, mais celle de la débâcle !

– On est encore naïf à ce que j’entends, tu croyais habiter le pays du siècle des Lumières, des Droits de l’Homme et de la culture soluble dans la masse ? Comme, c’est mignon…

– Non bien sûr, je sais bien que c’est une publicité mensongère à l’usage de l’Office du Tourisme, mais tout de même, un peu de tenue. Je veux bien être ouvert d’esprit, mais pas dilaté…

– Tu sais quoi, finalement Loft Story, jeune homme, c’est la concrétisation par le bas de tout ce que tu veux. Ce pays t’emmerde prodigieusement, sa culture séculaire ne veut pas de toi, et toute ta vie est déterminée par le droit du sang et le poids du fric qui en découle. Le Loft, c’est l’Amérique, sub-culture du pauvre, mœurs transgressives, religion des self made men et communauté des idées à la carte. Tu croyais que la destruction des frontières par l’argent apporterait l’émancipation ? À moyen vulgaire, public vulgaire, et peu importe le système, une industrie reste une industrie…

– Mouais, mouais, mouais, pour moi le problème n’est pas économique mais social…

– Tu vois, tu y viens de toi-même, le contrôle social ! Tu devrais arrêter Sun Tzu, tu n’es pas en guerre que je sache, nous sommes dans le pays de la contestation molle. Tiens essaye ce truc là, ça sera un meilleur pied de biche pour toi.

– Hum, Le Pouvoir sur Scène de Georges Balandier, hum… Concrètement, il faut que je fasse quoi avec ? Que j’assomme mon prochain avec ce pavé ou que je le lise ?

– À toi de voir mon frère, à toi de me le dire… »

La discussion continua de plus belle en partant de la dualité de Darwich à la cartographie génétique de notre espèce en passant par les détails du concert de Gravdiggaz qu’il avait organisé au Transbordeur en 1997. C’est à ce moment que j’ai arrêté d’écouter bêtement pour entendre patiemment !

Je crois que c’est ce que j’affectionnais le plus dans nos conversations à bout portant, le fait d’aller n’importe où en partant de nulle part. Sans slogan ni bannière et encore moins de camp. Mais l’idée était là précisément, il n’avait rien à vendre et je n’avais rien pour l’acheter.

Malgré son petit ton professoral et sa petite dizaine d’années de plus, je me languissais des tournures parfois institutionnelles de sa versification. Parce que lui au moins avait le vécu nécessaire pour porter le savoir de salle de classe sur ses épaules. Il ne faisait pas la leçon au-dessus des autres, il ne dealait pas des échantillons de pensées sans en avoir en stock, il mettait juste sa connaissance en jeu à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Depuis, j’ai toujours cultivé à juste titre une certaine défiance légitime vis-à-vis des gens trop polis – un ulcère au lieu de l’âme – se promenant avec leurs diplômes autour du cou et possédant une bibliothèque à la place de la tête !

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