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Posts Tagged ‘souvenir’

Jadis, je croyais fermement qu’il fallait crier pour aimer et suivre les ordres pour être aimé. Petit, avant que je ne prononce moi-même mon nom pour savoir qui j’étais je n’existais que dans la bouche de mon père, à l’époque où le monde tournait outrageusement autour des silences rhétoriques et de son regard rédhibitoire. Chacune de ses paroles assenées avec affection, mais sans le packaging, retentissait dans ma petite planète – faite de jeux d’adultes et d’innocence dérobée – comme le jugement dernier. Et celui-ci ne s’interromprait pas tant que l’homme château de carte qui donnait un sens à mes peurs ne s’en retournerait pas sur ses talons afin de trouver des mots pour comprendre sa propre violence.

Après avoir goûter, sans vraiment m’y habituer, à ses coups de tonnerre pour la énième fois, j’étais comme fasciné dès qu’il me regardait presque absent, mais totalement présent du haut du monde de ceux qui savent déjà tout mais qui n’apprennent rien. Lui, le père, ne savait pas s’il devait rire d’espérance ou pleurer de résignation en posant les yeux sur sa progéniture, sa créature, sa boîte à souvenir, à avenir. Je ne voulais pas le décevoir, comme si cela était possible, souhaitable, mais je n’ai jamais compris ce qu’il voulait en faisant tomber la nuit sur moi et lui non plus au bout du compte, pensais-je. Alors, nous nous taisions en soufflant en canon et c’était bien ainsi…

Parfois, lorsqu’il perdait pied dans sa réalité, il arrivait à s’extirper subrepticement de sa retraite faite de silence avérés et de sanglots refoulés. Comme tous les Hommes, il cherchait de manière psychotique des vestiges de la mère que je ne connaissais pas – la sienne ou la mienne – pour lui venir en aide, pour lui donner la force nécessaire, pour avoir de quoi croire juste un jour de plus. Demain n’existait pas pour lui. Mais il fallait s’y préparer et y survivre coûte que coûte, uniquement pour recommencer le jour suivant jusqu’à en avoir assez des pourquoi ! Je n’étais pas sûr de comprendre tous les tenants et les aboutissants de cette lutte que je ne voyais pas chez les autres, mais elle était notre héritage et je le porterais bien assez tôt.

Le temps, qu’on le veuille ou non, on le subit et pire on le regarde faire, une main dans le dos sans rien dire parce qu’il n’y a rien à expliquer, à demander, à combattre. Il faut juste vivre avec, voilà à peu près ce que mon père voulait me laisser comme mémoire en s’obstinant sans plaisir à ne jamais me donner le mode d’emploi de l’épreuve qu’il m’imposait. L’an 1. Le jour où il a voulu m’apprendre à nager en me catapultant sans mon autorisation dans un étang qui ne s’était pas lavé. J’aurais pu me noyer, j’aurais dû, j’aurais pu nager, j’aurais dû, finalement j’ai flotté, mais l’eau, elle ne s’en est pas enquise et ma leçon était donc celle-ci ! Alors, c’était à moi de voir si je voulais abandonner ou continuer jusqu’au jour où je perdrai comme tout le monde.

En outre, dès qu’un bref et rare moment d’évasion fantastique s’offrait à moi en levant la tête vers les nuages en perpétuelle mutation, mon père ne pouvait s’empêcher de les étrangler de ses propres mains sous mes yeux, naturellement. Comme pour me faire rudement comprendre à sa manière qu’il n’y a rien à voir là-haut, circulez, parce qu’à y prendre goût trop rapidement, trop souvent, on ne sentait pas la chute et je finirais par ne voir que le sol en le prenant à témoin de mon mode de vie. Mon champ de vision devait se résumer désormais à droit devant, sans espoir de regarder en arrière. À force, j’allais devenir fidèlement ce que je vivais tant bien que mal et certainement pas ce à quoi que je rêvais les yeux grands ouverts durant mes crises de bonheur idéal. Du coup, je ne connaissais pas la déception !

Avancer, avancer, c’était le maître mot avec lui, avancer toujours et encore, sans s’embarrasser d’un quelconque but qui ne parle qu’aux croyants, sans s’encombrer de qui que ce soit qui ne s’adresse qu’aux vivants. Je crois, enfin, je doute que mon père n’ait jamais eu confiance en une autre personne que moi et le drame, c’est que je ne connaissais définitivement pas le sens de ce sentiment, car on le comprend qu’une fois qu’on nous l’a ôté, donc il a dû partir.

La dernière fois que j’ai vu mon père me parler avec le visage déformé à l’extrême, les cordes vocales prêtes à se déchirer, les veines proéminentes, les tempes puis le système lacrymal au bord de l’explosion, il essayait inlassablement de m’enlacer tout en m’écrasant,  me donner quelque chose tout en me l’imposant, étrangement, rien à avoir avec un présent qui offre un sourire en prime, mais plutôt une part de sa prison, interne, enfantine, amoureuse où la liberté – dont il aimait à promouvoir ses vertus en tempêtant – n’a jamais aussi bien résonné. J’aurai tant voulu lui donner une clef, la bonne, une porte de sortie, l’unique ou bien un morceau de mes nuages en échange de son trouble, ce bourdonnement incessant, persistant, assourdissant et dépourvu de trêve qui était le sien depuis son enfance soldée sur l’autel d’un père qui n’en était pas un.

Moi, le mien de père, il en était un, il n’avait pas besoin d’être un quelconque héros puisqu’il était là. D’autant que je m’en souvienne et plus je fouille dans ma mémoire morcelée pour avancer vers mon destin déjà bien ficelé plus il me reste des clichés au détail près de paysages défilant sans discontinu les uns après les autres. Mais il n’y a personne pour les habiter, si ce n’est la voix de mon père qui supervisait la visite guidée – aussi confuse que rassurante – de ma psyché en convalescence depuis l’enfance. Et dans ces moments là, touché par la grâce, le trouble, mon trouble s’efface de ma prison sur mesure, à croire que le bourdonnement incessant, persistant, assourdissant et dépourvu de trêve, c’était les autres après qui l’on court toujours et qui ne nous rattrapent jamais !

J’ai dû perdre la faculté apparemment obligatoire d’aimer, le jour où mon père a préféré me quitter durablement au lieu de fuir encore une fois, droit devant. Je n’ai pas eu le luxe de me retourner sur ses pas pour lui dire au revoir, il a fait en sorte qu’il soit déjà trop tard. Il m’a donné ce jour là l’amour qu’il n’avait pas, enfin, je ne sais pas, je crois, je le demanderais certainement à mon tour à mon fils quand je ne serai plus, peut-être que lui il m’entendra…

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Moi, je vis ici, dans un coin vierge et désert de ma tête – entre rediffusion de la veille et images inertes – au second étage d’un tout petit musée trop usé pour recevoir des visiteurs attendus depuis toujours. Lui dans son costume repassé, dépassé, il a l’impression de se laisser partir tout en restant ici-bas. Plus personne ne bouge, mais les ambulanciers passent pour un oui et pour un nom !

Avant une ultime représentation et de prendre enfin une pause définitive bien méritée sur un brancard, il subsiste en lui un peu d’air confiné, recyclé et parfois quelques mots articulant des phrases qui restent lettres mortes sur un lit solitaire. Et je les guette ces confessions anonymes orphelines de trop de faux départs, ces derniers morceaux de vie, de vous chuchotés péniblement à qui peut bien les entendre.

Lui n’avait pas encore rétrocédé son dernier juron antidaté, son dernier verdict approximatif tant la mélancolie de cet hiver qui ne s’en va plus et les remords qui n’appartiennent qu’à celle ayant disparu le plaquent à même le sol, quitte à prendre racine avant de ne faire qu’un avec lui. Moi, je suis son assistant dans la mort. Aucun de nous ne le dit mais c’est tout comme. On se regarde soit pour qu’il se souvienne, sois pour que je m’imagine.

Je cherche la magie des gens là où elle s’arrête pour bien des choses, au moment où la quiétude reprend ses droits avant le tunnel sous la manche immaculé et le comité de bienvenue du Jesus Club’s. Cependant, pour faire rêver le peuple – les vivants et avec les moyens du bord – vous pouvez habilement présenter un mensonge insoutenable pour une promesse sans garantie ou clamer à la face du monde que tout est illusion, mais qu’il doit s’y accrocher farouchement afin qu’elle continue de plus belle. Le tout payable en 3 fois. A vos téléphones chers clients !

Je veux bien me dire en voyant le monde entier s’activer que la vie, la vraie, c’est faire des trucs ou tout du moins le prétendre avec suffisamment de désinvolture pour intéresser le quidam à notre peau de chagrin. Je préférerais connaître les dessous du spectacle plutôt que d’en faire partie, mais l’industrie humaine – des cours de récréation au crématorium – offre peu de répit à ceux qui ne dansent pas avec la meute.

Je suis entouré par trop de sagesse pour m’en rendre compte et pour cause, dès lors qu’elle bave à ses dépens, qu’elle radote pour mieux se remémorer, qu’elle grogne pour trouver des coupables au lever du lit, je la suspecte d’une de ces sénilités qui ravissent les simples et les saints d’esprits. Mais lui, il m’en donnait sans jamais en récupérer, elle ne lui était plus d’aucune utilité.

Lui lorsqu’il n’arrivait plus à pleurer, il se mettait à parler sans trouver d’excuses, ni de si et encore moins de peut-être, car la fatalité n’a que peu d’intérêt dans la bouche d’un enfant, mais dans les yeux d’un vieillard… Je gardais ça et le reste au fond de moi pour commencer à me tricoter une mémoire digne de ce nom, digne de son nom !

Le silence, quel mode de communication singulier. Il est idéal tant qu’on ne connaît pas l’identité de l’autre, c’est quelque chose d’impalpable et d’universel qui ne se retranscrit qu’après la disparition de l’un des protagonistes. Son camion à lui, il empestait les cigarettes qu’il collait machinalement à ses lèvres, ça c’était son histoire ordinaire, je m’en souviendrai jusqu’à ce que je puisse la donner aussi.

Je ne l’ai pas vu partir le soir en question. A un moment donné, il était là à prendre sa part du temps et l’instant d’après plus rien, la fin, le vide. Il n’a pas voulu me prévenir de peur de me dire au revoir comme à tous les autres, ceux qui nous traversent et que l’on effleure, des morceaux de nous un peu de partout, que l’on ne revoit jamais pour continuer à vivre ailleurs. Puis les choses ont repris leur cours en attendant que ce soit un jour mon tour.

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là-haut

Enfant, aux enterrements, le prêtre se sentait toujours obligé de venir me dire que tout allait bien se passer, ça ressemblait plus à une directive du personnel qu’à de la compassion.

Son patron devait être en plein redressement fiscal, épiscopal et il a oublié d’envoyer un mémo.

Regarder en arrière, cela n’a jamais fait de mal à personne, mais quand il n’y a plus rien à voir, mieux vaut fermer les yeux.

Le repos éternel ? Et puis quoi encore, la sieste crapuleuse alternative, la grasse matinée partielle ?

Cher vendeur de pardon, montre-nous dans quel rôle tu es le plus crédible, celui qui dort ou le mort.

La vie est un site de rencontre et une roulette russe, on ne sait pas sur qui l’on va tomber et qui nous fera tomber.

Je ne suis que de passage dans cette salle d’attente.

Fais comme moi, prends un magazine, fais semblant, souris à ta voisine et lève-toi lorsque l’on t’appelle.

Durant la ballade, tu as le choix entre les œillères ou la muselière pour affronter le compte à rebours.

Vivre en laisse ? Ça a ses avantages !

Là-haut, je ne préfère pas parier dessus, sur ce que je n’ai jamais vu, c’est ce que je me dis en fixant mes baskets, le sol, déçu.

Ceci étant dit, être propriétaire de 21 grammes de spiritualité, c’est sûrement du plus bel effet à l’heure du jugement dernier, mais ici-bas, éduqués au péché originel, les Hommes font la queue pour croquer la pomme.

Satisfaits ou remboursés, messieurs, mesdames pour les réclamations merci de vous adresser à votre main droite la plus proche.

Peut-être la femme de ta vie depuis le jardin d’enfant, peut-être la femme d’une nuit à l’abri d’une ruelle.

C’est la bonne, la prochaine, la dernière, mais c’est toujours une question de vie ou de mort.

Je ne connais pas le visage du bonheur, mais je peux déjà spéculer sur le nombre de liftings réalisés au nom du décor en carton de pâte de la famille idéalisable.

J’aimerais bien être aigri, cynique pour que nous soyons tous sûrs que seule parle ma tristesse de fond de bouteille.

Mais l’amour, c’est comme une boîte de chocolat, quand tu n’en as pas, tu veux celle des autres plutôt qu’avoir la tienne.

J’ai si souvent partagé ce lit que je ne me vois pas m’y allonger seul, hum, je n’ai jamais appris à le faire.

Elle tout essayé, pourtant, la pédagogie en l’apprenant à nos enfants, les menaces en promettant le retour de la chasteté, la corruption en s’adressant directement à mon ventre.

Je n’ai jamais su ce qu’elle cherchait au fond de son sac, pendant tout ce temps, elle non plus en fait, mais le jeu était plus passionnant que le Graal.

Laisser son sac en paix, ce n’était pas une option, je suis donc devenu patient.

C’était elle, c’était moi, c’était nous, c’était tout. Et la plus rien.

Je préfère la poussière au cimetière, tu n’es jamais partie, alors j’évite de sortir.

Et le monde continue à tourner et notre histoire à se répéter dans la maison d’à côté.

Le jour où il ne nous reste que des souvenirs de l’autre, c’est qu’il est trop tard ou que ça ne va pas assez vite.

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