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« C’est comme si c’était hier, j’avais une barbe de salafiste et une surcharge pondérale d’irréductible Gaulois… »

Au réveil, ma tête est quotidiennement encastrée dans la moquette couleur radio associative, sûrement en lieu et place des cadavres d’une famille d’acariens. Ma première vision c’est la collection de trous constellant la semelle de ma basket gauche. Et les effluves de celle-ci flirtent sans permission avec ce qu’il me reste de système olfactif. Putain d’acariens !

Il est 05h30, le jour de mes 25 ans et les stagiaires fourmillent déjà de l’autre côté de la porte. Ils s’affairent tant bien que mal à recopier scrupuleusement les dépêches AFP, qui seront redébitées machinalement au journal de six heures par l’un de ces apprentis sorciers avec une carte de presse à la place du bon sens. Je ferais mieux de me débarbouiller dans le lavabo lorgnant sur les toilettes — et les approximations de mes contemporains — avant que le quatrième pouvoir ne vienne quémander la prononciation d’un Premier Ministre renversé dans le Caucase ou le dernier gros coup du mercato. Oui, si Jules Ferry le pouvait, il ressusciterait pour se suicider. Mais je suis coupé dans mon fantasme par le philharmonique des fournitures de bureau et la chasse d’eau déjà fatiguée. Dormir, enfin vivre sur son lieu de travail, je le déconseille fortement, ne serait-ce que pour se remémorer que les choses ont une fin et un début. Que le travail, un jour, cela a été la santé. Que vos collègues, vos subalternes et votre patron ne sont pas qu’un paquet de conneries ficelé à la hâte par l’héroïsme politique et la liberté à tout prix, enfin surtout sur le dos des autres, spécialement le mien.

Mais avant que l’avenir du journalisme ne revienne téter maman, je célèbre dignement le jour de ma naissance avec une bière éventée à température ambiante et l’ultime représentante d’une pizza entourée par plus de graisses que de carton. Un petit-déjeuner de champion ! À défaut de cotiser pour ma retraite, je le fais pour mon cholestérol. Et comme j’ai la ventilation économe, je m’empresse de bâiller une dernière fois pour éructer à la face du monde mon amour de la fermentation. BLURPPPPP…

Après le toilettage de rigueur, je jette mon t-shirt de la veille à la poubelle. A 99 centimes le bout de tissu chinois XXXL, je gagne du temps et de l’argent en en remettant un neuf chaque jour que Dieu ou Darwin fait. Soyons sérieux, la laverie automatique regroupe deux catégories de gens, des pauvres et des étudiants, les premiers sont les voisins plaintifs de la radio et les seconds consomment mon oxygène en gémissant sur l’importance capitale de leur inéluctable rapport de stage.

Enfin propre comme un sous neuf, j’écoute d’une oreille les banalités dites objectives mais effectivement orientées, assenées par l’animateur de service, quand mon attention est retenue par une pile de dossiers de partenariat et un monticule de CV n’ayant pas saisi que prostituée c’est le seul métier digne de ce nom.

Entre ces deux prétendants à la poubelle sans tri sélectif se trouve mon chèque du mois, traînant depuis près de deux jours. Et oui je ne suis plus un héroïque bénévole, mais un employé résigné. Le plus caustique, c’est mon titre : directeur d’antenne. Hum, un directeur d’antenne avec un salaire à 3 chiffres, ça donne envie de rester stagiaire toute sa vie. Mais c’est également le prix de la liberté précaire !

Je sais, vous vous demandez pourquoi une personne normale avec un emploi de base dort sur son lieu de travail ? J’ai bien une réponse, mais elle me mènerait à la misanthropie ou à un mass murder. Alors disons simplement que lorsque mon interlocuteur — à la banque, à un entretien d’embauche, à l’agence immobilière — prononce de plus de trois manières différentes mon nom de famille, je peux entendre un « non désolé » avant de prendre congé avec le sourire. A croire que l’équilibre républicain dépend de celui-ci sous peine de voir fleurir le racisme ordinaire chez mon prochain. L’égalité des chances, c’est comme le droit du sol, ça n’existe pas.

Aujourd’hui, grâce à ce chèque à faire mourir de rire les minima sociaux, je vais pouvoir éponger ma dette chez l’épicier et compléter ma collection de T-shirt Décathlon noirs. Parfois dans un accès de folie, j’économise dans l’espoir vain d’acheter un paillasson à message ou ce genre de plaque avec son nom, au cas où l’on perd son domicile. Happy Birthday to me !!

Je ne suis pas vraiment fétichiste, alors vouer un culte annuel à l’utérus de ma génitrice, très peu pour moi. Sans oublier que le caractère de la vie est un peu surfait lorsqu’il mène au fanatisme diététique et chirurgical. Ma vie, elle est tout ce que j’ai, mais je ne crèverai pas pour elle pour autant.

Vous savez, je ne suis pas un homme à famille, je suis un homme à équipe. Avoir quelqu’un pour protéger ses arrières, cela peut-être plus salvateur que des noces d’argent. Mais parfois la camaraderie la plus fidèle tourne à la pression sociale, voire morale. Apparemment fêter son quart de siècle ça n’arrive que deux ou trois fois dans l’existence, comme un « Bonjour Monsieur » lors d’un contrôle de police. Il faut donc le célébrer et le savourer. Jusqu’à la lie, jusqu’à la bile.

La perspective de normaliser mon alcoolémie au nom du « tout le monde le fait » ne m’enchante guère. De plus je n’ai besoin de rien, ma vie tient dans un sac à dos que je porte telle une carapace durant mes trajets interminables d’une périphérie à l’autre, à la recherche d’un coin de canapé. Oui, je le confesse, j’ai passé l’âge jouissif des courses poursuite avec les contrôleurs dans les coursives du métro lyonnais. J’estime avoir tenu le coup jusque-là et je n’attends rien d’autre de cette farce pour gens trop sérieux.

Alors pourquoi diable allais-je céder au tribalisme pâtissier accompagné de son hymne plus subliminal que convaincant ?

Je crois que l’affaire s’est entérinée comme cela si mes souvenirs sont bons :

« – Attend, Sylvain, on va passer du bon temps ensemble, on va boire et s’amuser !

– Premièrement, je vois ta tête de white trash tous les jours et secondo si l’amusement est consécutif à l’alcool, comment dirai-je ? Hum tu as une vision positive du suicide ! Et puis le delirium tremens et la liquidation de nos foies, nous faisons déjà ça tous les soirs.

– Non mais t’arrête jamais avec tes théories à la con et ton charabia à stagiaires, amuse-toi deux minutes, juste une fois pour changer ! Et tu vas faire une overdose de flegme, tête de chien !

– Je ne peux pas être plus jouasse qu’aujourd’hui, j’ai regardé les infos nationales et je me dis que j’ai le choix entre la trépanation ou l’expatriation si je ne veux pas me radicaliser…

–  Non mais de quoi tu parles négro ? C’est ton anniversaire, un truc simple, avec tes potes, rien de plus ! Va pas chercher midi à quatorze heures ce qu’il y a sous le bout de ton nez !

– Je t’ai pas dit que j’ai perdu ma carte d’identité, ce n’est pas que j’ai peur de sortir, mais bon finir le glorieux jour de sa naissance au poste, c’est…

– La ferme, bla, bla, bla, tu vois mon gun là, je te le pointerai sur les couilles jusqu’à ce que tu dises oui ! Et en plus, c’est pas toi qui payes !

– Tu sais ma pingrerie, ça c’est un vrai argument et ton flingue se baladant de mes narines à mon entrejambe aussi. Ok, vendu je ferai tête de gondole à la fiesta…

Sachant que le spécimen en question se balade parfois éméché avec son arme, je me prépare psychologiquement à fêter je ne sais pas quoi et en public qui plus est. Une armée de gens heureux pour moi, comme ça naturellement, comme on leur a enseigné. La spontanéité automatique, il n’y a que ça de vrai pour vivre avec des souvenirs standards.

Mais il me reste une journée à abattre, à moins que ce ne soit l’inverse.

Une radio associative c’est comme un corps humain, depuis le début ça dysfonctionne. Le tout est d’osciller entre la jeunesse idéologique et la sagesse matérielle sans finir soi-même dans le formol. Et puis la dernière semaine d’août est particulière, elle cristallise les séquelles de la grille d’été et les bégaiements de celle de la rentrée. Précisions approximatives et vrais faux départs en série, bienvenue dans la mécanique humaine.

Du coup je dois préparer mon émission estivale pour honorer mes dernières interviews, tout en jonglant avec le retour de mon magazine culturel du soir.

La routine me direz-vous, mais entre les fins et les débuts de contrat, les pannes d’antenne, les bugs de Protools, les ultimes partenariats, toujours eux, à signer et les sempiternelles complaintes de la voisine — en peignoir rose gériatrique — dont le mari refuse définitivement de mourir, je me rends compte que même en traînant les pieds il est l’heure de la normalité annuelle avec des bougies à souffler et 3 grammes dans le sang à ingurgiter.

Et puis surtout, le lieu des réjouissances a été choisi collégialement à mon insu, la Croix-Rousse. Je hais les Canuts, je hais la Croix-Rousse, encore plus que des Stéphanois.

Et je ne parle même pas de ceux présents au dit anniversaire, si vous saviez…

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  • Lundi 19 : 31/08/2005, Part 2 : Orgie conviviale &  Mardi 20 : 31/08/2005, Part 3 : La cigarette d’après

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