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Posts Tagged ‘Lyon’

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À un moment donné chacun d’entre nous, dans notre quête pour la vérité de tickets restaurant et d’un enterrement correct, avons eu une de ces addictions pour lesquelles nous étions prêts à faire n’importe quoi, par n’importe quel moyen, licite ou pas. Mon proxénète à moi brillait de mille feux à la limite de la crise d’épilepsie et s’appelait salle d’arcade, le lieu de prédilection au début des années 90 pour que les jeunes mâles accomplissent leurs rites d’initiation devant la tribu des hommes un joystick à la main.

Imaginez que j’étais prêt, la morve au nez, à sortir de l’enchanteresse promiscuité de la périphérie urbaine lyonnaise – dépourvue de transports en commun dignes de ce nom – quitte à marcher plus d’une heure ou à braver les contrôleurs pour le simple plaisir animal de mettre 5 francs dans une fente voire 10 en cas d’adhésion soudaine et désintéressée de certains à la « Fondation Souklaye : pour une enfance faite de violence virtuelle et d’un amour matérialiste».

La problématique avec le pouvoir, c’est que tout le monde le veut. Et à 10 ans et quelques pixels, être détenteur du titre de numéro 1 du centre commercial à Street Fighter IIc’est une gloire par procuration, être champion de course c’est une invitation à de futurs rodéos, mais être recordman de Tétris sur une borne d’arcade et s’en réjouir, voilà le genre d’attitude regrettable qui relègue inextricablement un enfant innocent dans le rôle piège de l’éternel vierge/meilleur ami. Bref, donc comme je le disais dans toute guerre qui se respecte, l’emplacement c’est le pouvoir. Je ne pouvais décemment – égotiquement, politiquement, culturellement – pas laisser d’autres enfants au pouvoir d’achat illimité truster ainsi la borne d’arcade Street Fighter II constellée de miasmes entre leurs mains potelées. Je me voyais dans l’obligation de mettre en application stricte les enseignements de Guile et Dhalsim au nom de la justice sociale.

Après une campagne victorieuse remportée à limite de l’abandon où nous boutions – dans la pure tradition Charles Martelesque –  les assaillants dans les retranchements de leur 6ème arrondissement natal, mes collègues prolétaires avec une paire de Nike Air et moi-même coulions ainsi des jours heureux à engraisser le gérant de cette salle de jeux. Le même qui, plus tard, nous interdirait l’entrée de sa boîte de nuit – aussi stupide qu’il faille être pour danser, se serrer à la limite de l’étouffement dans le noir avec des lunettes de soleil et accepter un cancer planant au-dessus de nos têtes telle une immense couche de fumée, la misère sentimentale est à ce prix. Moralité le crime ne paie pas, mais il permet de patienter jusqu’à la puberté. Je n’avais pas de 6ème sens, non, mais une paranoïa zélée, oui, et lorsque je n’ai plus vu venir les clones de Ricky ou la belle vie, j’ai senti qu’il se tramait quelque chose. Malheur, la borne d’arcade avait atterri dans leur salon un matin de septembre 1992, la Super Nintendo européenne était là !

En fin stratège – comme tous les enfants de mon âge qui lisaient Console + à vrai dire –, je m’attendais à ce que la révolution arrive sans dogme ni sang dans mon salon et entre le minimum syndical du chantage affectif d’usage, un peu de logistique le dimanche matin sur le marché et les perpétuels pigeons en quête d’amitié, la technologie nippone de pointe s’était durablement installée dans mon cœur et dans mon HLM. Que Dieu bénisse la loi du marché ! Je ne remets pas en cause l’impact industriel de la chute du mur de Berlin ou même encore l’émoi animalier qu’a suscité la libération de Nelson Mandela, mais que les choses soient claires : la Super Nintendo, par son héroïsme de plateforme et ses combats de rue, a réuni les peuples comme jamais – les possesseurs de Megadrive étant des sous-hommes, cela va de soi – en vérité je vous le dis !!!

J’ai pu assister à ce changement depuis mon HLM, dont j’ai toujours pensé qu’il servait de laboratoire tant le voisinage était organisé comme une bombe à retardement : les musulmans à gauche, les juifs à droite et une famille de noirs en haut, sûrement pour servir de détonateur. Moi, j’avais des voisins, je les aimais ou pas parce qu’ils avaient des caractéristiques de voisins – porte claquée trop fort ou talons trop bruyant dans les escaliers – et par la force des choses j’étais ami avec les deux côtés de l’immeuble. Mon ventre s’en souvient encore.

De mémoire de concierge tout allait pour le mieux du monde jusqu’à la première guerre du Golfe, mais Sadam Hussein et Jean-Claude Narcy n’ont pas eu raison de Street Fighter II. Et donc Daniel et Rachid, mes voisins, venaient partager l’oecuménique Coca-Cola tout en s’explosant joyeusement le délit de faciès à coup de flèches vers le bas + bouton R et en écoutant le plus sérieusement du monde Rage Against the Machine. Le conflit israélo-palestinien ne s’était pas encore exporté dans notre quartier, mais quand leurs parents respectifs se regardaient en chiens de faïence devant la boîte aux lettres, j’étais alors pris de panique et je me disais que les germes étaient déjà là parmi nous.

Nous avions un peu de répit avec la guerre de Yougoslavie, les réfugiés étaient parachutés dans notre quartier sans atterrissage garanti. Ils étaient la cible de tous et oui, la paix sociale et l’intégration passent forcément par la fabrication d’un ennemi commun. Les manettes s’usèrent, nos duvets s’épaissirent et d’après les vendeurs de culture, les jeux vidéo étaient source de violence ou de maladie. Mais nous, nous avions un nouveau système narratif à portée de main, plus que la victoire ou la défaite, c’était la création d’une histoire et d’une mémoire communes qui s’écrivait en appuyant sur Start. Mais la mort d’Yitzhak Rabin changea à jamais notre équilibre précaire. Heureusement que nous nous sommes appliqués à nous perdre de vue, sans évidemment respecter notre serment scellé sur un terrain de basket. Je n’ose imaginer l’ambiance et les civilités échangées dans la cage à lapin qui nous servait d’escalier après le 11 septembre…

Avec un peu de recul, ce qu’il me reste de ma Super Nintendo, hormis d’avoir perdu un peu de mon amour propre à Mario Kart et quelques Pascals laissés en offrande chez Micromania, c’est surtout des gens et principalement des lieux. Là où les politiques de la ville construisaient des complexes sportifs et dispensaient de la culture bon marché dans notre zone, sans internet, ni réseaux, j’avais dû par la force des choses trouver des adversaires ailleurs, dans la fange comme dans le cachemire. Mon initiation à l’autre, que je ne voyais guère qu’au travers de la télévision, elle s’est faite par Street Fighter II. J’avais jadis tenté l’expérience avec le piano mais ce fut un échec. Nike n’avait pas encore inventé Michael Jordan, donc dans d’innombrables salons et chambres j’ai trouvé du mépris parental et de l’amour virginal. Il fallait donc que je me rende à l’évidence riche ou pauvre, noir ou blanc, juif ou musulman, nous avions tous les mêmes problèmes, des sauvegardes quasi inexistantes, des fils de manettes jamais assez longs et une télévision toujours trop petite.

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« Je joue à l’animal domestique le jour, mais une fois le crépuscule en phase terminale, je deviens une bête de foire dans la cour des miracles »

Un bon Canut, c’est un Canut mort. Je tourne tellement le dos à la Croix-Rousse qu’elle a fini par disparaître, enfin jusqu’à ma prochaine obligation scénique. Que ne ferait-on pasdepuis un bout de planche pour satisfaire les besoins de voyeurisme du public et le syndrome pavlovien des applaudissements ? Pfff… les dites planches s’obstinent à pousser sur les tombes des Canuts.

Mais à minuit passé à la lisière de la place des Terreaux, il n’y a que les professionnels des coups et blessures et les amateurs d’adrénaline pour se donner en spectacle devant les charognards en Air Max. La vie nocturne en centre ville est un écosystème parfait où le vol à la tire cohabite avec les taxes indirectes imprimées à même l’addition. Pour sûr, la base de la luxure est la misère. Et pendant que les uns tanguent jusqu’à en effleurer le bitume, les autres enracinés dans l’ombre attendent une ouverture. Lyon dans toute son obscurité, ses artères festoient abondamment car c’est le standing qu’elle nous impose. Mais attention, dès que la dernière prostituée du terroir s’éclipse entre les premiers bus et la danse des rippers, il faut réendosser le costume terne et ordinaire de la vie en soldes et à crédit.

Au milieu de tout ça, dans la confusion la plus totale avec le reste de mon équipage ivre, je m’auto-interromps intérieurement :

«- Bla, bla, bla !

– Quoi encore ? Tu veux une camisole de force pour notre anniversaire ou tu désires le règlement de tes prestations de voix-off en cachets d’intermittent ?

– Non, cher moi, je demande de l’aventure collective, des péripéties inavouables et peut-être même un peu de sang sur un visage anonyme ou en plaisir menstruel sur un préservatif usagé…

– Haaaaaa !! Hardcore, sérieusement, tu as un vrai problème toi, la vie de punk dans la peau d’un terroriste supposé avec une afro, ce n’est pas assez pour toi ?

– J’avoue, je suis déjà las et depuis le 11 septembre tous les noirs ont arrêté d’être des arabes. Le prestige de la série limitée est terminé, gentil petit nègre au jean trop large ! Donne moi quelque chose de neuf, d’excitant, d’exaltant, de bandant ! Sinon tu connais la sanction, la folie tapera à ta porte avant que l’amour véritable homologué par les fleuristes ne soit venu te prendre pour le dernier des cons.

– Tu sais quoi, hum, si je survis ici avec eux jusqu’à mes 30 ans, je mangerai des légumes et des fruits, des tas, des tonnes, des gros, des petits, des parfumés, des gluants, des farandoles, le tout à une table et avec des couverts !

– Franchement tu te nourris de kebabs sauce curry sans salade ni oignons en intraveineuse depuis dix ans et si on t’ouvrait le bide on pourrait y organiser un open bar, alors je tiens le pari!

– J’ai bien dit si je survis.

– Allez, je te laisse à notre soirée, on se reverra devant la cuvette des toilettes demain ! Bisous.

– Je. Ne. Suis. Pas. Un. Homme. À. Bisous.»

Hum, le gay de service qui parle de son album qu’il parachèvera demain, toujours et encore pour faire son coming out, la liane à la voix rauque tout juste échappée de sa maison de disque, Casper le Stéphanois refaisant les dialogues d’une journée particulière d’Ettore Scola pour lui seul et enfin, le Juif programmant un groupe d’antisémites pour un festival subventionné me regardent d’un air médusé et inquiet parce qu’apparemment, cela fait plus de cinq minutes que je parle seul. Bref, passons, pour moi les vrais fous sont ceux qui chantent sous la douche.

Alors que les alcooliques célèbres rejoignent chacun leur vomitorium de prédilection, ma glotte se balance et hésite encore entre une biture traditionnelle et un bad trip new school. Après une fin de non recevoir à la porte du « Cochon sauvage » et « Du bec de Jazz », il nous faut revoir nos ambitions à la baisse, vraiment très bas. Et de ruelles surpeuplées en culs-de-sac pour coupe-gorge, nous atterrissons finalement au troquet que voulions éviter « Le… machin vert » —qui n’a de vert que le fromage dans les plats servis aux musiciens de passage. Enfin, j’ai du mal à me rappeler le nom exact. Par contre la patronne, un vrai poème de magazine gratuit jonchant les salons de coiffure et aimable comme un balai à chiottes avec ça! Un véritable petit amour de femme punching ball.

Cela fait trois bonnes minutes que nous sommes assis et je ne sais quel parti prendre entre l’appel de la vessie et celui de la noyade par fermentation. Mais avant que je ne songe à m’uriner dessus, la détestable tenancière fait une famélique apparition en nous lançant nonchalamment des cartes toutes collantes et son mépris affiché pour la clientèle.

Je suis sûr que vous voyez le genre de carte dont je parle, le truc illisible à la mode où les noms de cocktails peuvent figurer haut la main dans le Kamasutra ou sur l’en-tête d’un flyer pour une free party. Peu importe, moi, je veux de la bière rien de compliqué, de la bière à la bière, de la pisse de chat de base. J’ai bien trop bu pour reconnaître le goût de tel ou tel alcool.

Et attendant que le dit alcool finisse par sortir par un trou ou par un autre, j’enchaîne tout ce que mes comparses me transmettent un brin amusés. Le jeu en vaut la chandelle : remplir la bête jusqu’à ce qu’elle soit au point de rupture. Jouez, jouez, ce n’est pas moi qui y perdrai mon découvert !

Alertée par nos bruits et nos cris incessants, la patronne comprend enfin que c’est mon anniversaire. Et dans un élan de générosité commerçant, elle décide donc de m’offrir, de nous offrir…une blague. Elle s’assoit en bout de table en accaparant l’espace et l’oxygène avant de partir dans sa narration qui débute en pleine Seconde Guerre Mondiale et se termine dans un camp de concentration. Finalement en se retirant de la table face à notre silence, la tenancière conclut par un laconique : « Mes grands-parents sont morts dans les camps, donc je peux en faire des blagues, moi j’en ai le droit ».

Comment dire, au delà de la consternation œcuménique et hérétique qui est la nôtre, jamais l’expression tête à claques n’a pris autant de sens. Profitant de ce grand moment de solitude où elle retourne se cacher derrière son comptoir de misère, mes acolytes règlent l’addition alors que je redécore les toilettes hommes et femmes, de haut en bas, poignées incluses. Ah, l’appel de la vessie et l’amour pour l’art nouveau ! Ce soir aucune envie d’un au revoir hypocrite à l’aune du comptoir, un petit regard de travers collectif et nous désertons le mobilier façon Soho du pauvre et la bande-son trop lounge pour être honnête.

De retour à la case départ, dehors, pour conclure cet anniversaire. Nous marchons à vue à la recherche de n’importe quelle lumière et d’un bout de banquette. L’heure n’est plus à l’équilibre et au porté de coup. En descendant la rue de la République en direction de Bellecour, je partage quelques bières tièdes perdues au fond de mon sac à dos, à côté de l’ultime 1,5 L de Whisky Coca artisanal. Le jeu doit continuer mais le reste de la bande passe gentiment son tour pour me laisser engloutir la dite mixture.

Blurp ! La gorgée de trop, le pas de trop, l’aérophagie de trop. Dans un saut désespéré je réussis à atteindre un banc public avant de pondre une toile de maître contre la chaussée qui ne demandait pas une telle dédicace. L’œuvre en question récapitule toutes mes dérives alimentaires du jour en passant d’un rayon à un autre de mon épicerie favorite. Matraqué par le flash de la liane à la voix rauque tout juste échappée de sa maison de disque, les autres légifèrent sur l’instant et l’endroit précis où ma gouache à touché le sol afin de trouver un gagnant et un riche héritier.

Hé merde, j’en ai plein la semelle ! Cela fera un souvenir à l’inconscient qui m’accueillera cette nuit sur son canapé. Après quelques minutes je reprends la marche forcée et la bande me suit à distance de flash. Soudain le sol se dérobe à nouveau sous mes pieds et de banc en banc j’accouche d’une nouvelle pièce maîtresse immortalisée en numérique, comme il se doit.

Mais à force de jouer au Petit Poucet, je retrouve ma vision horizontale et, malheureusement, le sens du goût. Heurk! Gagné, j’ai de belles éclaboussures de mes entrailles sur mon seul jean ne donnant pas directement sur la partie la plus intime de mon anatomie et je ne parle pas de ma veste fétiche, ma seconde peau, qui a fait les frais des cruels rebonds proposés par la rigole lors de ma dernière offrande. Je fais dans le lavement home made !

Pendant que je cligne des yeux pour ventiler en vain mon cortex, j’aperçois la joyeuse et noble escouade qui a loué des Vélo’v pour s’amuser à traverser le plus rapidement possible le bassin d’eau près du carrousel sans y déposer un pied sous peine d’y être balancé. Qu’est-ce qu’on est pas prêts à inventer lorsque l’on a tout ce qui doit nous combler? L’idiotie est le signal d’alarme de l’ennui.

Devant ce spectacle aqua-pédalesque, je bave sans m’en rendre compte, réfugié sur mon banc d’infortune d’où j’effraye des membres de la contre-culture représentée par des freaks tatoués, percés, scarifiés —avec accord parental— mais qui n’osent croiser mon regard de chapelier fou. Ce soir j’ai l’alcool hilare, mais le problème ce que je ne suis pas quelqu’un de drôle…

Bye bye delirium tremens, ramené sur Terre par la peau du cul, il me faut me repentir jusqu’à la fin de ma vie ou sombrer définitivement dans le ridicule. À boire, j’ai soif, à boire. Mais à quatre heures du matin, ma session de body painting ayant assez duré, je réveille mes vieux démons tandis que la ville dort plus qu’elle n’assume ses bas instincts. Les pressions se cachent pour mourir et les alcooliques notoires ont déjà regagné leur bar de fortune dans leur salon HLM, entre la télécommande et la manette de la Playstation. Décidément, les bonnes mœurs et les grenouilles de bénitier égarées dans la nuit prient pour que je m’en tire à bon compte en s’affolant autour de ma dépouille. Puisque je ne peux être sauvé autant me saborder une bonne fois pour toutes et pour cette apothéose il me faut une taverne digne de ce nom!

Les hétéros rechignant à s’occuper de mon cas, les homos pourvoiront à mes besoins en sponsorisant mon suicide goutte après goutte. Le gay de service qui parle de son album qu’il parachèvera demain, toujours et encore, pour faire son coming out nous ramène alors dans un rade dont il a secret. Et au moins là-bas, on ne regarde pas la gueule ou le costume du client, tous égaux devant le croupion !

Toc, toc, toc, nous sommes accueillis par le patron, ventripotent, gueulard et rougeaud, un brin taquin, il demande quel est le but de notre visite à cette heure tardive. Sachant que son peignoir rose —à moins que ce soit le filtre vitreux sur mes yeux— laisse apparaître son auguste pénis en forme de tire-bouchon, il y a peu place à l’équivoque.

Et l’alcool se met à couler à flot, le stroboscope marche au ralenti, les plumes succèdent aux paillettes et nous chantons tous à tue-tête sur un tube d’Adamo bras dessus bras dessous ! Quitte à tomber comme un seul homme.

Après un petit pas de danse sur les Pet Shop Boys, j’ai dû faire une sieste plus ou moins longue sur le trône à jouer avec la mort. Toujours est-il qu’à la sortie du bar nous avons nos verres pleins à la main, des tentures dorées autour de nos têtes et des paillettes à ne plus savoir qu’en faire. Bref l’art de la fête et un souvenir digne de ce nom! Mais sans m’en rendre compte, le temps de tourner la tête, et certains sont déjà rentrés chez eux, je ne sais pas, je ne sais plus lesquels. Nos tentures flashy en guise de cape nous prenons le chemin du retour avec le gay et la liane. De perte d’orientation en chemin de transhumance nous arrivons à un lit trop grand pour nous trois et en essayant bêtement de philosopher devant le télé-achat, je m’écrase comme le World Trade Center. Et là, plus rien. Plus d’image, plus de souvenir, quelques bribes de voix et le bruit du flash. Quel anniversaire, cela fait des mois que je n’ai pas dormi dans un lit, hum, le paradis. Ne croyez pas en Dieu, mais dans la literie !

Le matin de ma vingt-cinquième année arrive plus vite que la nuit ne part et au moment de collecter mes petits bouts de mémoire, il ne reste rien, des bruits de verre, des courbatures inconnues, une extinction de voix et des éclats de rire. Rien vous dis-je, un parc Croix-Roussien, des bars épicuriens, un long périple puis une lumière blanche. Je reprends mes esprits, la tête dans le trône et le cul vers le ciel. Du mortier plein la bouche et les yeux grenadine, je tente de trouver des raisons à mes interrogations. Non, pas cette fois. Et puis, je me retourne dignement en demandant aux rescapés de la fine équipe s’il n’y a pas une bière qui traîne et peut-être même un bout de pizza froide…

 

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Inside my nombril (5) : 31/08/2005 – Part 2 : Orgie conviviale

Inside my nombril (5) : 31/08/2005 – Part 1 : Les Préliminaires

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« J’étais en retard, mais pas suffisamment pour être absent »

Rejoindre mon lieu de villégiature à pied n’est que pure folie vu la manière dont le soleil s’écrase lentement sur la cuvette lyonnaise au bord de l’asphyxie. Il me faut donc utiliser mon ennemi juré, le métro, plus précisément la ligne A. Celle-ci fait le grand écart entre le sang bleu et le droit du sol.

Étrange ligne de métro logeant en son sein les femmes de ménage et les Hommes ménagés. Mais attention, toujours dans des sens opposés, d’une rame à l’autre, d’une fin de journée prolétaire et à un début de soirée dorée, bref du grand Lyon. Heureusement que l’alcool unit tous ces gens là, le temps d’un rapport bucco-génital une fois le Beaujolais Nouveau venu. Bacchus réussit là où la Vᵉ République échouera toujours !

Mais retournons à mes extorqueurs de mobilité favoris, les TCL, comment dirais-je, les Transports en Communs Lyonnais… Je n’aime plus frauder —les couloirs sont plus longs à moins que ce ne soit moi qui coure moins vite— mais je rechigne encore plus à subir une levrette à 1,60€ même au nom de l’intérêt général. De plus nous avons un certain nombre de contentieux en suspens, je ne les compte plus, d’ailleurs les courriers pour amendes impayées finissent directement dans le vide-ordures. Payer un ticket ou une amende ? Tout dépendra si ce quinquennat fait dans l’amnistie !

Pour moi, les transports en commun ressemblent autant à un mitard qu’à une backroom. Le silence monacal côtoie les envies de métissage de certaines. Le temps séparant Charpennes d’Hôtel de Ville est déjà écoulé, alors l’ascétisme et la bagatelle devront attendre le chemin du retour, enfin… cela dépendra de mon taux d’alcoolémie et des envies de comédie des éternelles racailles en manque d’amour. Pour l’heure, j’ai un anniversaire à honorer puisque celui-ci refuse de me laisser le choix des armes.

À l’air libre, en captivité au centre ville, les badauds s’agglutinent devant l’opéra, et ce malgré l’heure apéritive. Toujours le même spectacle, une armée de gymnastes —plus occupés par la mode que par la technique— s’acharnent à tourner sur la tête pour en faire perdre quelques autres et obtenir une ovation de la part du banc d’otaries en faction devant les marches. Avec les années, j’aurais cru qu’ils finiraient par faire leur trou ou creuser leur propre tombe. Mais non, ni l’un ni l’autre. Foutus sportifs avec une étiquette culturelle! Et putain d’opéra ouvert à tous, pourvu qu’ils singent correctement les us et coutumes du lieu. De quoi pouvons-nous nous plaindre, la politique culturelle veut notre bien, et ce même contre notre avis. Hum… Peu importe, pour ce soir, mon champ de vision bascule de ma latérale droite à mi-hauteur vers plusieurs toits tutoyant l’horizon en défiant mon amour pour la symétrie. Décidément la Croix-Rousse, c’est aussi haut que loin.

Tout en ralliant mon point de chute, je m’interroge sur le choix de cette destination et à bien y réfléchir, il y a peu d’autres options. Vu le nombre de spécimens attendus aux réjouissances, vu le profil de ces derniers, vu la mentalité des tenanciers du centre ville, vu que le progressisme est plus un mot qu’une réalité, les festivités extérieures sont le meilleur choix tactique. Merci Gerard Collomb, j’en regretterais presque Michel Noir !

Oui, même les moments de simple allégresse font l’objet de calculs s’équilibrant entre la mentalité locale et les sondages de fin de mandat. L’art et la manière de construire de petits murs de Berlin sans que personne ne trouve rien à redire. Mais j’ai beau vociférer dans ma tête, la Croix-Rousse arrive à grands pas et l’altitude se faisant, le manque d’oxygène et la mauvaise foi me tiennent à la gorge. Plus je touche au but, plus je croise des artistes, des vrais, des pieds à la tête, en passant par une impression qui le stipule sur leur t-shirt. Apparemment « Artiste », c’est une maladie qui s’attrape par la mère et la Croix Rousse est un haut lieu de contagion.

Consciemment ou pas, j’ai oublié le bout de papier avec le nom de la place. Je navigue donc à vue, le radar en berne, le vent profitant des trous dans mes vêtements pour me donner un premier frisson. En plein coït thermique, je reçois une pomme sur le côté gauche de mon épaisse chevelure en même temps qu’une saillie commanditée par le besogneux :

« – Hé Fléau ! [ Ndlr : c’est mon doux petit nom ] On est tous là, au cas où tu essayerais de ne pas nous voir !

– Heu, non, mais assis en rond une bière à la main sur une pelouse, je vous ai pris pour des Croix-Roussiens ou pire des étudiants en histoire de l’art, my beg !

– Sérieux, t’as pas fini d’enfiler tes conneries les unes à la suite des autres, on est pas à la radio. T’es pas devant ton micro, débranche…

– Wow, je suis époustouflé. Et sinon ton charabia, il fonctionne à chacune de tes visites de la salle de l’ANPE ? 1 à 0 !

– Putain, s’il y avait un roi des cons, je voterais pour toi !

– Je dis ça, je dis rien, mais le concept du roi, c’est qu’on ne vote pas pour lui, non ? 2 à 0 !

– Vous allez arrêter tous les deux ! Gardez-en pour le reste de la nuit. »

Le besogneux et moi sommes interrompus par «l’authentique école», le mec de l’Education Nationale, notre caution morale de poche. Le reste de l’assemblée en a suffisamment dans la bouche pour ne pas prendre part ni partie à la joute en cours.

«L’authentique école» est accompagné de son sparring partner, l’éphèbe filiforme, qui évacue joyeusement par les narines les stupéfiants qu’il a savamment collectés dans sa salle de bain.

En balayant les membres de ma famille recomposée, j’aperçois en vrac, le white trash jouant avec son couteau serbe, le Libanais sponsorisé par Brice finissant toutes ses phrases par pélo, il y a aussi le gay de service qui parle de son album qu’il parachèvera demain, toujours et encore, le Britannique d’occasion observant plus qu’il ne parle, le cannibale gentleman tiré à 4 épingles, le verbe haut et la syntaxe musicale, la Sarah Bernard récitant des poèmes byzantins sans qu’elle y ait été invitée, sans oublier la liane à la voix rauque tout juste échappée de sa maison de disque, Casper le Stéphanois refaisant les dialogues d’une journée particulière d’Ettore Scola pour lui seul et enfin, le Juif qui nous rejoindra plus tard, car il doit programmer un groupe d’antisémites pour un festival subventionné.

 

[ Et puis il y a également les personnages secondaires qui devront m’excuser et ceux qui ne m’adressent aujourd’hui plus la parole craignant à juste titre que je ne leur réponde plus. Quant aux parasites et autres pique-assiettes… Ah, le temps, la distance, l’orgueil et leurs bons offices ! ]

Les souvenirs sont toujours meilleurs que l’avenir. Mais avant de tout oublier la tête dans un caniveau entre le balai des filles de joie albanaises et les simagrées de la BAC, je lève mon verre, enfin ma bouteille, à ceux faisant de moi un juste reflet.

Un speech, un seul, car l’alcool et moi nous avons cette passion commune pour le recueillement qui désagrège la glotte et embrase les entrailles. À la mienne! Le jour de gloire est arrivé et mon champ de vision commence à vaciller dès que mes yeux vitreux et mon large sourire Nicholsonien parlent mieux que mes chaleureux sarcasmes. Ce soir je fabrique un peu de mon histoire sans regret ni après. Les bouteilles se vident aussi vite que les packs, nous délestons l’épicier de sa réserve jusqu’à ne plus pouvoir articuler, si ce n’est pour rire bêtement en fixant son voisin tout en étant absent. Que du bonheur !

J’ai la gorge sèche et la face d’un ahuri. Je crois que c’est ce que nous faisons de mieux en vérité. Le reste pourra attendre demain et même plus tard, la tête dans la cuvette des toilettes. Poésie quand tu nous tiens.

23h30. Il est déjà l’heure des premières désertions, entre la domestication des monogames endurcis, les fous furieux travaillant avant que soleil ne se lève dans leurs usines, les amoureux des infusions accompagnées de théologie, les affabulateurs qui n’ont pas le foie de leur égo et les pauvres ayant le mauvais goût d’habiter en banlieue. Et moi et moi et moi… et quelques-uns prêts à défier jusqu’au bout de la nuit la physiologie la plus élémentaire. L’insouciance est un meilleur motif que le courage afin de repousser les limites du corps humain.

Quelques poignées de main, quelques checks chorégraphiés, quelques accolades, mais pas de bises, je ne suis pas un homme à bises. Bref un moment juste, des effusions authentiques qui s’extirpent des automatismes que les gens civilisés érigent en bienséance. Faire semblant est une religion, alors Happy Birthday To Me.

La loi du dernier métro ne fait pas de prisonniers. L’armée se disperse et l’alcool se tarit, puis les cadavres de verre réapparaissent émergeant de l’herbe à l’occasion des crises d’épilepsie des réverbères. Je n’ai rien pour l’écologie, mais refuse de laisser des preuves,  c’est une question de principe. Alors le roi d’un soir se mue en éboueur du matin. N’y voyez aucun paradoxe, appelons cela le rapport de force entre le révélateur et l’inhibiteur. La nuit et le jour.

Une fois l’espace public rangé comme il doit l’être, nous, les quelques rescapés, entamons notre baroud d’honneur, cul sec, sans vergogne, à la limite de la déglutition, pour le meilleur et pour le rire. Mais le rituel de la bêtise occidentale en pleine session d’autodestruction légale est interrompu par les inévitables forces de l’ordre. Celles-ci nous encerclent comme il est de rigueur en démocratie, avant de nous interroger sur nos motivations à nous situer à l’endroit où sommes présentement assis. D’une logique à une absurdité, il n’y a qu’un pas et une matraque.

Après un moment de réflexion —sur mon comptoir imaginaire— l’alcool redescend aussi vite qu’il est monté et oubliant que j’avais perdu ma carte d’identité quelques mois plutôt, je pars en pilote automatique dans une diatribe radiophonique qui angoisse sérieusement mes convives.

Bref, parmi les trois groupes de personnes en cercle sur la dite pelouse, pourquoi le courroux sécuritaire s’abat-il sur nous ? Est-ce par manque de dreadlocks blondes, du petit Chomsky illustré et de Djembé ou parce que nous ne crions pas en cœur en chantant du Tryo dans une béatitude suspecte comme les nymphomanes d’à côté? Nymphomanes ayant, soit dit en passant, offert leur service plus ou moins subtilement à diverses occasions durant la soirée. Si ces demoiselles veulent de l’adrénaline, je leur conseille d’aller dans un camp de Roumains du côté de Gerland. Ceci étant je ne les soupçonne pas d’être des professionnelles, mais des amatrices criant au viol au petit matin certainement.

Pas de réponses de la part des forces de l’ordre et plus de questions. L’anomalie que j’incarne doit suffisamment les déranger pour ne pas en savoir plus. Une invitation à quitter les lieux est formulée à notre encontre, nous obtempérons. Et puis selon moi, martyr ou fait divers ce n’est pas un choix de carrière qui offre des perspectives. Bref, grâce à Vigipirate et au 11 septembre les cons assermentés ont bonne presse et la tolérance sélective. Ces chers messieurs ont des quotas à remplir, mais ils ne peuvent se résoudre à avoir un emmerdeur public sur les bras. J’en prends bonne note.

En plein exode, poussés à l’exil avec une envie d’absinthe et d’asile, ils nous faut une oasis pour perpétuer quelques mirages. Les 12 coups de minuit viennent de retentir, pour le dernier métro il est trop tard et la meilleure des choses à la Croix-Rousse, c’est la descente. Alors pourquoi ne pas attendre le premier métro en investissant les dépits de boisson pour combler le temps et la cirrhose?

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  • Mardi 20 : 31/08/2005, Part 3 : La cigarette d’après

Inside my nombril (5) : 31/08/2005 – Part 1 : Les Préliminaires

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Plus un bruit. Pas de témoin. Peu de lumière. Pas mal de questions. Que des doutes.
J’ai du retard sur l’heure du crime et tous les démons du coin font la queue devant la peinture écaillée de ma porte close. J’ai beau prendre la terminologie du videur de base, personne ne m’écoute en passant sur mon corps sans prêter attention.

Étrangement lorsque le mois de décembre fait son entrée, plus il fait froid plus il fait soif. Le bromure, je le préfère dès lors qu’il se tait, que je puisse l’embrasser à pleine bouche.  Je ne bois pas, je tente d’oublier le pourquoi de la bouteille. Une passion comme une autre certes, mais je serai seul à avoir des regrets. Enfin peut-être…
Nuit, noire, neutre, jeu des ombres et lueurs malignes. Le soupçon dans le vide, le gobelet en plastique recyclé dans la main droite déjà givrée, le vice aux alentours, un brouillard délétère, une ambiance à la dérive et un décor à l’abandon. En grelottant, la condensation s’égoutte sur toute ma moustache, j’attends sûrement un signe ou le début de la bande son. Mais personne ne vient dès que je commence à psalmodier tout seul. Le regard fixe et absent, la tête inclinée sur ce banc en jachère, j’ai rendez-vous avec la paranoïa, mais je ne récolte que la légitime défonce… Je n’attends plus rien, même pas demain.

J’aime ce moment de décompression, ces instants à répétition, ces tessons à percussion, ces perditions à répercussion. Soudain pris d’euphorie, je me surprends à faire des claquettes sur ces éclats de bouteilles à piler à grands coups d’Air Force One.
Le panorama clair-obscur contraste avec la frénésie de la marée humaine à la lisière du parc, à la recherche de l’ivresse avec une ceinture de sécurité. Et à force d’en faire les 360 degrés, étourdi, je risque de déloger mon auguste derrière de mon centre d’inertie. Mais avant de tituber tel un automate du samedi soir, je veux tanguer pour retrouver l’équilibre, quitte à flirter avec le point de non retour. C’est ainsi que je danse en faisant du surplace, la vision trouble, double, triple, le foie à la renverse, les vertiges à chaque geste et la slow motion en prime. Alors le temps passe aussi vite que l’impression d’allégresse. Il me maintient le visage au sol contre le gravier sentant l’urine de ton animal de compagnie préféré. Je suis en laisse, je suis en chien comme une bombe domestique !

Une lame serbe dans la poche droite, des capotes NF dans la gauche, un décapsuleur et mes billets dans chaque chaussette faisandée. On ne sait jamais sur qui l’on peut tomber et je n’assumerai pas un « si j’avais su ». L’humanisme, c’est comme la tolérance, il s’arrête à l’entrée de mon espace vital. Et oui, je ne suis pas tendre avec mon prochain, ceci étant si l’envie te venait de m’appeler mon frère, je demanderai obligatoirement un test ADN à la pondeuse qui t’a expulsé ici-bas. La nuit s’abandonne trop facilement aux abus de langage, mais il faut dire que je suis pour le Talion équitable… Bref.
Tu as fini par déguerpir en parlant dans ta barbe, enfin dans ton duvet. Sinon j’aurais dû sacrifier une bouteille sur ton crâne fraîchement rasé ou l’inverse. Je n’ai pas le temps et puis il me faut soudoyer l’épicier après le dernier passage de la Bac pour la fermeture de deux heures du matin. Lyon la nymphomane préfère les backrooms aux plaisirs en état d’ébriété, c’est du propre. Hé, merde, j’ai perdu mon décapsuleur en courant après le lapin blanc, tout ça va finir par l’ouverture du sésame avec mes dents en plein désarroi, en pleine euphorie. Mission accomplie et molaire douloureuse. Je savoure doucement le poison, comme quoi je suis prêt à perdre mes esprits histoire de ne pas me faire délester de mes deniers et même le meilleur lap dance ne le mérite pas! Parce que l’argent, c’est comme le travail, une race en voie d’extinction.

Un pas en avant, un pas en arrière, c’est la politique de mon dévouement, la bouteille à moitié vide pour métronome. Je prends la pause et j’en fais une. Et donc, de gauche à droit, de droite à gauche mes épaules sont mon centre de gravité et mes hanches suivent la manœuvre en décalage. Je demande des droits d’auteur pour cette chorégraphie. C’est le tube de la nuit, la danse des damnés. Seul ou mal accompagné, je me dirige sur la piste de la déchéance pour reprendre vie ou reposer en paix. Mi-coma éthylique, mi-delirium tremens, jamais livré à moi-même, toujours sur le qui-vive avec un air ahuri, une bouche pâteuse et béate. J’enchaîne les pauses, une autre, les postures, les posters à l’aide de mon postérieur. Au milieu, enfin presque, de ce parc improbable où les réverbères rayés sont morts depuis l’hiver dernier, j’exorcise mes démons intérieurs et j’expie mes signes extérieurs de détresse. Le DJ ne connaît qu’une chanson et le videur viendra me ramasser au petit matin avec les ordures.

La nuit, le bruit, les étoiles, l’alcool, les visions couleur laser, mon sourire approximatif et ces très légères secousses du bassin amènent des pécheresses. Tu peux être de l’ENS ou avoir un CAP d’esthéticienne, peu importe ton motif touristique pour te trouver dans un coin sombre de Lyon ! Il te faudra plus que de la frivolité passagère pour t’encanailler après avoir fait semblant de citer Boris Vian au Hot Club. Je ne ferai pas de sentiments, pas de détails, pas de discriminations. Je suis amour et saoul. La règle est simple et le jury sera clément si tu possèdes la souplesse nécessaire pour danser en hurlant à la lune. Mais si tu as la cadence d’un horodateur, même avec 2 grammes dans le sang, tu ne rentreras pas dans ma boîte de nuit. Tu aimes peut-être l’exotisme, mais lui non ! Je suis pour l’égalité des chances, pas la philanthropie. A la fin de cette chanson, souvent avec quelqu’un comme toi, qui a l’alcool putassier j’en viendrais presque à espérer qu’au lieu de t’entendre quémander un échantillon d’amour avec ton bassin, un ombre familière vienne me chercher la merde, une autre bouteille à la main…

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Je n’arrive pas à choisir entre une icône et une mascotte
(Aung San Suu Kyi 0 – Nicolas Hulot 1)

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Je n’arrive pas à choisir entre les allumettes et l’essence
(Les gens 0 – L’argent 1)

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Sans argent, sans repères et sans avenir, mais où aller ? Au centre commercial, voyons ! Et en courant qui plus est !

Je me rappelle encore de l’excitation palpable qui était la mienne au moment de me précipiter l’air hilare vers un ennui profond, propre, à escaliers, à escalators, à issues de secours, rien que pour ne pas faire les 100 pas en bas de chez moi. Alors, la promesse de quitter quelques heures ces murs scarifiés qui ne tiendraient pas sans nous ou de laisser sur le bord de la route ce banc fatigué qui portait mes initiales ainsi que l’empreinte encore fraîche de mon postérieur, cette perspective m’enivrait de la même manière à chaque évocation. L’essentiel résidait dans cela, sûrement dans mon veau d’or – avec extincteur intégré – où je n’avais aucune responsabilité architecturale et encore moins de pouvoir de coercition sur mon sphincter. Dans ce lieu libre entretenu par une chape de plomb, l’anonymat providentiel côtoyait sans y prêter gare l’indifférence ordinaire. Plus de classes, plus de genres, juste des gens, seuls et ensemble…

Je sais, je sais, j’aurais pu faire montre de l’une de ces attitudes studieuses dont font preuve les spécimens dits immigrés et assimilés ou courir sans réfléchir après un ballon, mais la domestication parfaite et la vie d’un groupe contre un autre ne m’attiraient que peu, et puis ce n’était pas comme si je n’avais jamais essayé ! Mais l’assimilation d’un corps étranger, à même le pupitre, par manuel scolaire a fait remonter en moi un frisson que ma mémoire ne connaissait pas, sans oublier que la plupart des réjouissances compétitives étaient mère de cette ambition qui aime tant la trahison. Je passe mon tour et laisse ma place avec plaisir. Ceci étant, cette brève expérience m’a enseigné que j’avais un mal fou à jouer sans faire mal, allez savoir ?!

Et parfois, en ne voyant pas l’intérêt de demain après la sortie salvatrice de 16h30, je me laissais happer par le reste de la semaine, au hasard de l’une de mes pauses hygiéniques sur mon banc personnel – entre « Les chiffres et les lettres » et « Une famille en or », d’après la fenêtre de la concierge. C’était avec stupeur que je ne voyais plus, peu ou pas les crachats d’usage joncher le sol, ceux-la même s’enorgueillissant d’avoir la main mise sur notre système de communication géolocalisé ! Nous étions déjà samedi et personne ne m’avait tenu informé, soit en enfonçant un bâtonnet dans l’interphone pour sonner l’alerte ou soit en criant par la fenêtre en l’agrémentant de quelques insultes de base. Il faisait désert dans le square, il ne restait que les nostalgiques de la guerre d’Algérie et de la gégène pour garder le contact visuel avec les mères de 16 ans qui surveillaient avec la plus grande des concentrations leur cigarette se consumer plutôt que leur parasite dans la poussette. Il me fallait bien sortir de mon banc, et au moment de monter dans le bus – malédiction ! – que pouvait faire un homme, de 12 ans, seul face à une demi douzaine de contrôleurs des TCL ? Pas grand chose en vérité, je me suis donc résigné à acheter, puis à composter un ticket, en attendant patiemment la bousculade générale organisée à la fin du voyage retour !

Le centre commercial, mon royaume, mon home sweet home, pour lui j’ai combattu même avec des hématomes*. Une addiction reste une addiction même légale et c’est la pupille dilatée, les lèvres pincées et la gorge sèche que je retrouve celle qui promet beaucoup, mais qui ne donne jamais rien, si ce n’est un échantillon d’une nouvelle tentation.

Face à mon regard déjà acéré, un immense monstre métallique déjà usé à quatre étages m’ouvrait son antre faite d’enseignes tapageuses, de cartes bleues muettes et de sa fourmilière disciplinée au possible. J’étais donc au rendez-vous, comme à chaque fois pour faire le pot de fleurs et le décor zoologique. Ce qu’il y avait de sain dans notre relation, c’est que je n’avais rien à vendre et encore moins à acheter et ça, la bête vitrée le savais. Je n’étais pas là pour le plaisir, mais pour affaire, notre affaire. Une histoire de temps qui passe, qui lasse, qui laisse, voilà quel était mon fond de commerce entre vide et néant.

Tous les mercredis et samedis de ma grande enfance, sans exception – angine, punition ou Thc – étaient dévolus à l’inertie entre congénères se ressemblant suffisamment pour se détester sans se connaître, à la perte de toute dignité en présence d’un début de poitrine, au moyen de trouver un problème musclé à chaque solution pacifique et, sans omettre le truc du pauvre à la limite du masochisme à travers les âges, la consommation par procuration ou par prospective qui n’arrive jamais. J’étais à mon aise dans ce faux rythme où de loin tout va lentement, mais en grossissant la caricature, je m’apercevais que tout le monde courait tête baissée, en famille, en solitaire, avec pour unique pénitence le prochain dealer de signes extérieurs de richesse, l’impôt du parking toujours automatique mais jamais habité ou la sortie principale pour ceux abandonnant leur rêve précaire pour le luxe d’une vie bien à soi. Les seuls possédant le recul nécessaire étaient ces vigils, plus silencieux que décérébrés et dont tout le monde préjugeait de leurs petites, si petites pensées, ainsi que les techniciens de surface invisibles que personne n’ose bousculer de peur d’accepter leur existence dans ce petit paradis tout droit sorti d’une liste en papier glacé. Eux étaient à la fois témoins privilégiés et prisonniers salariés de cette course contre la montre, ce compte à rebours où les plus fous amassent tout ce qu’ils peuvent en espérant qu’on ne leur dira rien au check-out le cœur léger, les pieds devant et les poches pleines.

Comme d’habitude, je suis en train de me perdre dans ces dédales et je vous y entraîne également, mais la répétition est la clé de la paix. Emprunter le même étage, le même escalator, le même demi-tour, voilà une petite mort bien agréable. Je trouvais presque à chaque fois une raison évidente à exposer à mes détracteurs – les amoureux de l’amour et les extrémistes de la liberté – pour crédibiliser mon apathie. Au moins, je ne faisais rien de pire et cette réponse suffisait à leur malheur. C’était le ventre plein et les poche arides que rien ne pouvait me tenter, j’étais en osmose pour stagner en avançant. Entendons-nous bien, tourner en rond machinalement les uns derrière les autres – au risque d’un carambolage – cela n’avait rien de fétichiste, mais c’était le seul choix pour ne pas perdre la tête, je n’avais ni les moyens ni le profil d’acheter du spleen et l’inertie était plus légitime à mon sens que les râles pseudo dépressifs. Je vivais dans une cage à lapins avec ma famille, alors quoi de plus normal que de passer mon temps libre dans une roue pour hamster ? Au final, c’est pendant ces moments que j’ai cultivé mon obsession pour le temps et mon indifférence pour l’argent.

La particularité du centre commercial, c’est sûrement sa fascination pour l’anticipation de tous les calendriers quels qu’ils soient et le besoin qu’il a d’expulser, la nuit tombée, ceux qu’il retient captifs malgré lui. Le paroxysme de ce phénomène se manifestait lors du respect mercantile des festivités religieuses. J’étais ainsi tiraillé entre mon hérésie de circonstance et mon œcuménisme opportuniste. Dans cette perspective, j’ai longtemps attendu l’avènement de Noëlouka dans les étals monothéistes, mais les décorations envahissantes et hypnotiques de la fin d’année scelleraient à jamais mon iniquité envers l’obèse sans papier qui défiait l’apesanteur. A titre personnel, je n’ai rien contre Noël en tant que tel, mais la combinaison religion, marketing, crédulité et pouvoir d’achat me donnait la nausée ou une idée de plan de carrière.

C’est mon centre commercial à nous ?! Oui, ça a l’air fou à entendre, mais dans les faits, c’était le cas. L’autre événement théologique qui tenait en haleine tout le centre commercial était la veille du Ramadan et ses violences, fantasmées, espérées, chorégraphiées, scénarisées. De mémoire de sauvageons on n’a jamais su si l’obscurantisme républicain avait généré cette étouffante situation ou si trois déficients mentaux au milieu de suffisamment de moutons avaient créé le phénomène. Toujours est-il que le samedi précédant le début du Ramadan un étrange rituel se réitérait : d’une part, tout ceux qui portaient une casquette étaient d’office catalogués dans la catégorie musulmans, même les Sylvain, surtout les Sylvain, ça fait agent double comme matricule – parole d’un membre ardent de la B.A.C. – et puis, surtout, il ne fallait pas se regrouper à plus de cinq. Mais quelle est cette science sans logique ? Si je voulais m’ennuyer seul, la télévision avait été inventée pour cela et, de plus, cette interdiction retardait l’apprentissage des civilités en milieu hostile, j’entends par là « espace économique récessif ». Au final beaucoup de bruits de part et d’autres, beaucoup de bruits pour rien. Soyons cohérents, qui irait se parer de ses habits de lumière made in China pour aller s’offrir en pâture sur l’autel de l’insurrection religieuse, banlieusarde et sociale – à vous de voir Mesdames et Messieurs les journalistes – certainement pas une personne qui passe l’intégralité de sa vie à parler avec ses mains pour ne jamais les utiliser !

Et l’agitation annuelle enfin passée, les uns jeûnaient, les autres ne pouvaient plus attendrir de l’arabe durant un mois et moi, comme la coutume le voulait, je passais du Mac bacon au Big mac, moins cher et meilleur à la fois ! Je vous entends déjà les juges en freelance et les lésés de ma part de burger, mais à force de laisser une bouchée à tout le monde, il ne me restait jamais rien à la fin, j’ai donc dû prendre les dispositions drastiques qui s’imposaient en étendant cette hygiène économique aux soirs d’extorsion sur fond de solidarité et de Kleenex depuis mon banc de salon !

* Cf. LP « Entre deux mondes »

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Faillait que j’sorte d’ma tête, comme mon amour propre, après une gueule de bois de trop.

J’avais besoin de parler et ma conversation ne suffisait plus.

« Quoi aujourd’hui ? M’entraîner à mourir ?

Pfff, pour changer , j’vais apprendre à mentir. »

 

 

 

J’ai pris mes jambes à mon cou, au ralenti, histoire de faire semblant.

Fuir, ça demande trop d’effort, alors essaye d’abord, tu me raconteras.

L’atmosphère a une fuite de sphincter à la nuit tombée.

Cette fille de joie sur la réserve préfère se rincer l’œil plutôt qu’avoir les mains sales.

 

 

 

C’est l’heure d’hiver, black out dès 17 h, terminus tout l’monde descend.

Le chassé-croisé entre les sorties de classe et les pédophiles diplômés.

Trop tard pour l’open bar chez l’arabe et trop tôt pour l’after chez ta femme.

Les chômeurs héréditaires tapissent l’horizon, plantés là au hasard des liposucions des ronds-de-cuir.

 

 

 

Y’a comme une odeur de fin du monde ou de fosse septique dans la bouche de métro.

Certains portent leurs couilles sur le visage, les autres une alliance dans leurs poches et la peur au ventre.

Moi j’porte un masque d’occasion, c’est mon daron qui me l’a prêté, j’me fait chié, mais j’serais jamais en danger.

L’asphalte baise trop souvent avec les vivants pour aimer s’en souvenir, alors j’oublie les cons qui me croisent.

 

 

 

 

Vision périscopique et le mal de mère. Ok

Panorama dépressif et les rétines dilatées. Ok

Marche forcée et traînage de patte en puissance. Ok

Gomme usée et une bonne circulation sanguine. Ok

Ligaments croisés et pas de crise d’asthme. Ok

Lacets défaits et jamais refaits. Ok

Pause syndicale et syndrome du cul sur un banc. Ok

 

 

 

J’ai l’alcool mauvais et la sobriété mélancolique, le décor se ramasse la gueule ou à la petite cuillère.

Affronte ça comme tu peux.

 

Ecoute, soit tu passes ton temps à fixer le sol à la sortie du bureau soit t’as du temps à perdre avec des garde-à-vue artificielles. Moi, je joue au fantôme.

 

 

À chaque fois c’est la même chose, mais j’recommence.

J’retombe nez à nez avec cette cabine téléphonique trop maquillée pour être honnête, mais j’ai pas un copec et personne à appeler.

 

Alors, j’continue à marcher, toujours et encore.

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Je n’arrive pas à choisir entre la copie conforme et des vacances en principauté de Monaco
(Médicament générique 0 – Toni Musulin 1)
Toni Musulin

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Je ne me rappelle plus si la télévision est devenue n’importe quoi à partir du moment où l’on pouvait y voir n’importe qui, ou l’inverse.

Heureusement que le poste est là pour attester des instants de transition où les hommes transforment leurs côtés sombres en vitrines alléchantes.

Il fut un temps où le téléviseur déterminait le jeu social, à présent il l’articule, depuis que le vedettariat est à portée de tous en un claquement de doigts, en un click il est devenu une profession de foi.

Enfant, je me disais qu’il y avait Dieu au-dessous de ma tête pour entretenir une certaine terreur républicaine et la télécommande en guise de libre arbitre.

Mais, dans une époque absurde, quoi de plus normal que les dealers de morale et d’humanité croupissent dans un anonymat sans public – hors guerres et catastrophes naturelles – et que nos plus bas instincts érigent la scatologie à l’état de religion ?

Je me suis souvent interrogé durant mes heures de colle sur l’utilisation correcte de la Bible, j’ai fini par admettre qu’elle était le chaînon manquant entre le code pénal et une campagne publicitaire.

Le manque potentiel engendre inexorablement un sauveur providentiel, fût-il la dernière cuisine équipée ou du papier hygiénique.

Avant que les écrans ne deviennent des tribunes passives pour la pédophilie, j’ai perdu le goût de l’irrémédiable.

Quand la télévision a fait du public son spectacle, il ne lui restait plus qu’à vendre des nombrils.

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J’étais donc là, amorphe, au sommet de mon art, pris en flagrant délit de téléphagie sur un canapé s’effondrant en temps réel, entouré de papier peint couleur HLM et de la moquette du locataire précédent, le cable était enfin dans les moyens de ceux qui n’en possédaient pas.

J’avais plus la télévision dans la tête que la tête devant la télévision.

Entre un mauvais épisode d’X-Files sur la mythologie de la connerie populaire et Yo ! MTV raps avec son cortège de mythomanes parlant vrai, je me donnais parfois bonne conscience en regardant le Jean Edern’s Club, tout en lorgnant sur la montagne de devoirs dont la logique prévisible me préparait à l’usine, et que je ne faisais donc pas, eux qui trônaient sur mon sac à dos fétiche made in china, avec un logo américain.

Je vivais quelque part entre l’exception culturelle et la mondialisation bon marché.

Chut, la télé parle, la séance de name dropping pouvait commencer et malheur à celui qui ne maîtrisait pas une référence, un silence trop éloquent ou certaines absences dans la lueur des yeux étaient un motif d’élimination cathodique.

Cher ami censeur de l’industrie culturelle et faiseur de bien pensance sur mesure avant la télé-réalité accompagnée de son voyeurisme universel et de son exhibitionnisme d’époque, les émissions littéraires avaient tué le ridicule !

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J’avais 13 ou 14 ans, la littérature ne m’intéressait guerre, mais des sexagénaires en plein clash à coup d’invectives vouvoyées, criant de tout leur sphincter, le côlon au bord de l’implosion et qui, pour un oui ou un non, voulaient en découdre au nom de l’humanité, de la décence, de la France ou simplement pour avoir un avis gratuit, eux, arrivaient à stimuler ma passion pour l’accompagnement de fin de vie.

La bizarrerie était suffisamment étrange pour que je finisse par écouter ce qui se disait entre les séquences d’insultes, enfin, comme dans un bon disque de rap.

Entre Charles Bukowski et Old Dirty Bastard mon cœur balance, toujours.

Des empoignades de canapé, il en existait de toute sorte de la Duchère à St Germain, à ce détail près qu’à la Duchère, on ne se serait jamais amusé à balancer dans les airs un livre acheté avec les 3-8.

On l’aurait mangé, certes, vers le 15 du mois avec un bouillon, mais c’est tout.

Cela doit être dû à la pénibilité ou à l’apesanteur.

Si j’ai bien saisi les ressorts qui animent cette farce entre amis, mieux vaut s’en prendre à ce que fait quelqu’un plutôt qu’à ce qu’il est.

Un groupe de gens se faisant la guerre poliment, pourquoi pas, mais ma chère éducation nationale – républicaine sous tout rapport et laïque selon son bon plaisir – m’a toujours claironné, martelé, vociféré que les livres c’était sacré, et le sacré dans ce pays…

Que la télévision possède un pouvoir de coercition afin de ridiculiser les choses importantes, soit, mais que celle-ci puisse arriver à nous faire croire que rien n’a de sens ? Non !

Alors, le jour où j’ai vu l’une de ces prostates sur pilotis balancer un bouquin dans les airs en stipulant que c’était de la merde, pour moi la messe était dite.

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Il me fallait impérativement un début d’explication – avant de brûler une voiture ou devenir nihiliste – je décidais donc d’en parler avec la personne la plus lucide du corps enseignant dans mon collège : le concierge.

Il était à la fois la colonne vertébrale et laissé pour compte dans cette garderie.

Evidement, vous allez me dire que j’aurais dû aller voir mon professeur de français, mais franchement, une personne qui boit un pichet de Côtes du Rhône à chaque déjeuner, qui laisse sa boite de Xanax à portée de vue et, surtout, qui vit en plein fantasme Ferryien dans une ZEP, je ne pouvais en aucun cas lui parler du ridicule et encore moins de la dérision.

Celui ou celle qui a appris la vie dans un livre, périra par ses élèves.

Il fallait que j’explique mon affaire à Gérard, le concierge, la cinquantaine, les dents bien entamées par les Gauloises et l’haleine qui va avec, le visage suffisamment boxé pour justifier son vécu, son abdominal sculpté par la bière moulait son uniforme, des tatouages de la guerre d’Algérie sur les avant-bras, les mains pétries par une femme dépressive, deux enfants en prison et les ongles noirs de vingt ans de bons et loyaux services à ramasser la merde de l’avenir supposé de la nation.

Il n’avait rien à perdre puisqu’il avait compris tôt qu’il n’y a rien à gagner, alors il se faisait un plaisir d’assener quelques vérités à qui le croisait dans un couloir – écrivains craintifs misant plus sur la sécurité de l’emploi que sur leur talent et racailles tiers-mondistes chaussant 1000 francs de misère sociale – il était donc l’homme de la situation.

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« – Alors p’tit, c’est quoi ton truc crucial à régler aujourd’hui ?

Un problème de main droite ? Une méthode d’intimidation à l’attention des nouveaux profs ? Un plan d’évasion avant la prochaine chasse à l’homme ?

Non, c’est un vrai problème ce coup-ci, apparemment, rien à voir avec les cons qui viennent ici parce qu’on leur a dit d’y aller ou ceux qui sont payés pour le faire bêtement.

Tu m’as l’air encore plus perdu que le jour où tu as découvert les Monty Python. »

Nous, nous sommes assis dans un angle mort de la cour entre les grillages vert bouteille et un morceau de mur lézardé, il a sorti une bière tiède, il l’a décapsulé puis me l’a tendu – c’était ma première gorgée de poison – il a soulevé son béret gris sale, s’est gratté le front frénétiquement, a expiré de tout son coffre en une fois, m’a souris comme pour se donner du courage et m’a demandé de vider mon sac, calmement si possible.

Le mois d’août avait l’habitude d’arriver en mai dans la cuvette lyonnaise, une chaleur de plus en plus étouffante anesthésiait mes envies d’autodestruction.

Je lui résumais brièvement mon tourment du dimanche après-midi, la télé, Dieu, les livres, les vieillards incontinents, la culture, le spectacle et l’argent, tout en voyant défiler à vive allure les moutons réagissant instinctivement à la même sonnerie heure après heure.

Gérard m’a rétorqué que le ridicule est un mot pour les hommes de salon qui ne savent pas se salir les mains, que la dérision est la preuve vivante de leur imposture et surtout que les pauvres prennent toujours un malin plaisir à singer ceux qui les méprisent.

Et il a conclu en me disant :

« Quand il n’y a plus de gravité, il ne reste plus de malheur et encore moins de bonheur. »

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