Il fait nuit nègre. La faune urbaine a coupé le son pour mieux se blottir meurtrie dans cette solitude qui peuple ceux ayant plus d’histoires que de mystères. Et au milieu de ce champ de détails, les gouttes d’eau indisciplinées s’échappent dans l’indifférence générale pour mieux s’écraser en contrebas, afin de maculer l’évier sale ou combler le vide d’un bol à l’abandon. Même à l’abri derrière mon casque de cristal, la guerre feutrée orchestrée depuis la cuisine délaissée me mine le moral, la routine et l’écriture automatique. Je cherche à me concentrer, mais je ne trouve qu’à me distraire. À force de me dissiper, je pourrais disparaitre sans que nul ne s’en doute.
Pas d’éclair de génie préfabriqué, ni de révélation divine et encore moins d’inspiration sous influence. Je pars à la rencontre de mes entrailles en me débarrassant tant bien que mal de ma cervelle de substitution, de mon âme de location pour cerner ce que j’ai dans le ventre. Enfin, ce qu’il en reste.
Pour ainsi dire, c’est peut-être tout ce que je cherche lorsque j’extirpe de leur enclave toutes ces images logées dans mon passé afin d’aligner l’intégralité de l’alphabet dans un désordre parfait. J’offrirais bien au monde ma lobotomie en direct, si seulement cela servait à quelque chose ! Mais l’horreur est à la mode et mon égo ne croit pas en la postérité. Il n’y a que maintenant. Alors, je serre le robinet jusqu’à ce que ses angles droits s’impriment sur ma paume, puis je retourne dans le bureau, l’autre main dans mon boxer.
La porte une fois claquée, je fais le tour du propriétaire en faisant du surplace. Des murs vaguement capitonnés de Velleda et une fenêtre pour épier les ombres de mes contemporains vivant dans le futur proche. Il faut croire qu’avenir rime avec électronique vu le monticule de plastique qui meuble leur vie. Mais au bout d’un moment, les lumières se retirent, les ombres les quittent et le noir étend son empire. Rideau. Circulez il n’y a plus rien à voir, à épier, à emmagasiner pour tout recracher entre l’ascenseur et la machine à café. Devant tant d’obscurantisme technologique, je retourne à mon trône d’usine dans l’espoir d’asseoir ma suprématie sur le futur !
Des post-it scarifiés, usagés, des relevés de compte dépressifs, un cimetière de cure-dents mâchouillés, je laisse des indices au fur et à mesure de ma dépression collaborative. Je suis dans le brouillard. J’aimerais avoir des warnings pour faire une pause, mais je n’ai qu’un phare. Donc je le poursuis.
Le voilà, lui, l’écran qui tient en otage une civilisation entière de pixels, il m’illumine comme il le peut tandis que ma colonne vertébrale joue son récital en craquant de toutes parts, histoire de me rappeler qui tient qui ! On ne sait jamais, si je me sentais pousser des ailes, à défaut d’avoir des racines…
Je suis prêt ! Mais à quoi au juste? Peut-être à tout, en fait sûrement pas. Avant de déplier mes pattes de plantigrade, il me faut grogner pour faire appel à la bête en sommeil, celle qui vit entre l’instinct et l’instant. Ici et maintenant.
Premièrement, j’ouvre, puis je tape et enfin j’enregistre. La liberté n’a jamais autant ressemblé au travail la chaîne. Enfin, nous y voilà, un texte de plus, des virgules en moins, les lettres à la bonne place, les mots justes, les phrases de circonstance, une illustration adéquate, le même nombre de tags et l’inévitable vidéo pour le référencement, j’y suis. Mais où ? Non, je me suis perdu, car il n’y a plus rien à raturer. Si même mon crash-test suit dorénavant les règles de la nature, je ne vois que l’auto-destruction comme projet d’avenir valable. L’ennui est une honnête erreur, mais l’oisiveté est un aveu d’échec sans motif acceptable. Je fais le tour de ma petite planète qui me sort par les orbites et essaye tant bien que mal de me faire passer pour l’un de ses satellites.
Après deux ans de cahier de brouillon, j’ai fini par remplir toutes les pages, la couverture, le dos, chaque marge et bas de page. Il ne reste rien, plus de place, mais je ne faisais que m’échauffer, que m’entraîner, qu’envisager. L’essai est transformé, mais l’expérience est encore trop loin pour je puisse l’écrire. Pourquoi parler de but et de fin, alors que je n’ai pas encore commencé ?
Mes amis, il l’heure de tout quitter pour avancer, prendre l’horizon à témoin sans se retourner entre l’essence et l’allumette. Je vais mettre le feu à ce blog pour vous en faire un souvenir et moi un mémoire. Et au petit matin, la fumée à l’agonie sous la rosée et l’aube en retard, j’irai planter mes racines ailleurs – mes premières – afin de coloniser d’autres espaces sous une autre forme au fond…