Mais c’est pour votre bien Monsieur, vous verrez tout ira bien, vous ne sentirez plus rien, ni peur, ni haine, plus rien ! La sécurité est à ce prix vous savez, alors oubliez tout…
Non. Pause. Pouce. Stop. Terminé. Si on me force encore à enfourner une bouchée de plus, vous pourrez bientôt lire en retour votre avenir dans mes entrailles fraîchement libérées à même le sol. Je le jure sur la tête de mon F.A.I. ! À ce moment définitif, mon téléviseur et les Hommes-prompteurs l’ont mis en veilleuse, mon Iphone s’est suicidé dans la caisse du chat et le train-train quotidien est allé voir ailleurs s’il pouvait se faire recycler.
Je refuse d’être sauvé parce que petit un, je ne suis pas une victime en délicatesse avec l’axe du mal et que petit deux, Vigipirate a la matraque un peu trop facile à mon goût. Dorénavant, derrière la moindre contrariété allant de la découverte des premiers hémorroïdes à la dernière avancée en matière d’armes à impulsion magnétique, il faut des coupables et surtout des redresseurs de torts —et de raisons— en qui croire. Il pleut des promesses d’épitaphe à chaque dépêche AFP et les légions d’honneur sont préinstallées dans les utérus. Certes j’ai le choix, nous sommes dans un pays libre interdépendant d’autres pays libres, mais comme dirait Nexus : « You’re either with us or against us ».
Je n’en peux plus de manger de l’héroïsme trois fois par jour depuis le 11 septembre. Je commencerai à avoir peur le jour où les buildings auront de la gueule à Paris ! Je mets dans le même sac les chiens d’infidèles et les extrémistes de tous bords, ni les uns, ni les autres ne règleront mon problème d’addiction au chômage. Je ne suis ni Goldenboy, ni arbitre dès lors j’aimerais ne pas prendre parti en paix.
Ding dong! Qui sonne à la porte ? Encore… En collant, en cape, en théologie, en Yes We Can, en crampons, en martyr, en logo, en streaming, en bonne conscience, en BHL, en contrôle social, en John Cena, le syndrome du sauveur me pousse à la lâcheté. Je ne veux pas de cette drogue bon marché pour petite nature romantique et grands enfants en plein sevrage. Plus c’est gros plus c’est vrai, imaginez si, en plus, c’est omniprésent !
Oui, mes antidépresseurs mélangés à l’alcool me manquent, en l’espace d’un attentat nous sommes passés de l’autodestruction d’un occident qui s’ennuie à l’instinct de conservation obligatoire au nom de la civilisation. Comme ça, en un claquement de doigts sur une partie d’échecs. D’abord je n’aime pas les échecs, ensuite je n’étais pas dans l’audience ce jour-là et finalement je me moque royalement des bookmakers et du résultat qui ne changera en rien la fin du match. L’héroïsme, ce sont ceux qui ne le pratiquent pas qui le vivent le mieux au passé.
Les héros de mon enfance eux, avaient des visages burinés, marqués par la crasse qui ne partait pas avec le savon, leurs mains étaient faites en corne, pas en peau. Leur sourire était mort depuis belle lurette comme leur jeunesse. Ils sont nés bossus, affaissés, les épaules plus basses que la chute de leur menton toujours mal rasé, le regard incertain. Le regard est ainsi à cinq heures du matin lorsque l’on attend le bus dans le froid, collé à son voisin de palier.
Ces héros-là ne parlaient pas par slogan, ils ne pouvaient simplement plus. Ils ne faisaient pas de communication, ils giflaient, réconfortaient et dormaient à l’aide de leurs mains jusqu’à leur nouvelle mission dictée par le réveil. Enfin, la même que la veille, mettre à manger sur une table toujours trop petite pour toutes les jambes de la famille. Leurs actes de bravoure se contentaient de payer les retards des factures oubliées et prendre le jour du Seigneur en otage avec un second job, histoire d’honorer leurs dettes au Dieu Noël. Je crois que j’avais la chance d’habiter l’immeuble en décomposition où vivaient tous ces héros et peut-être même le quartier en stand-by où ils opéraient secrètement ensemble. Si mes souvenirs sont exacts, il ne formaient ni une équipe ni une ligue mais plutôt une classe…
Le Président venait rarement les congratuler et curieusement on ne parlait pas d’eux à la télé et encore moins chez le libraire ! En guise d’applaudissements ils avaient des félicitations du conseil de classe, une perquisition les jours fériés ou une simple indifférence de la part de leurs enfants. Ces héros ne naviguaient pas entre la justice morale et la taille de leur égo, ils tentaient juste de survivre au jour suivant, un peu pour eux, beaucoup pour leur famille. Parce que c’est comme cela que vivent et meurent les héros ordinaires.
Mes héros allaient à l’usine™, ils n’en sortaient pas.