Puisque le cœur m’en disait, j’aurais voulu en perdre ma tête, mais j’y ai laissé le reste…
Tout est une histoire d’attente d’une vie, de passantes inconnues et de terminus plus ou moins définitif. Voilà, nous sommes arrivés à destination, tout le monde descend, enfin moi, pour sûr. Parfois au hasard des caprices de la circulation, c’est en rentrant chez soi que l’on perd son chemin en croyant fermement que rencontrer un platane vaut mieux qu’accepter la fatalité. À vrai dire, je ne sais plus comment tout est arrivé, le moment où le temps a cessé d’être un compagnon fidèle pour devenir un témoin à charge entre anomalies et destinées. Techniquement, j’aurais dû être à l’abri de tout cela, question d’éducation, de programmation, mais la timidité la plus flagrante a des montées de bonheur incontrôlées. Alors j’ai quitté la route pour ne plus la retrouver. Ma vie suivait scrupuleusement les desseins du papier millimétré imprimé dans ma tête et mon regard avait plus tendance à s’excuser en fixant le sol qu’à soupirer en défiant le ciel. Mon hymne à la joie au son de la pointeuse, mon régime élémentaire plus rigide que psycho, aucune entorse à la règle, pas de fantaisies sentimentales, rien d’extraordinairement particulier, tout de la routine parfaite. Puis tu m’as rattrapé au vol sur la route du déjà-vu.
Plus les jours passaient à loisir sur notre insouciance de porcelaine, plus je prétendais parler au pluriel. Depuis elle, je ne suis plus tout à fait moi et c’est bien ça le problème et la solution. Pour moi l’Amour est une forme de don de soi jusqu’à la dernière pièce, tandis que pour elle, il est un suicide à rebours, à deux si possible et plus si infidélités. Nous le savions dès le départ, mais sur une erreur de jugement en secourant l’image que l’on a du désir, on peut croire que l’on a l’âme d’un sauveur et cela suffit à tous les sacrifices, même les plus idiots. Pour tout dire, j’avais tout du réparateur et peu de points communs avec l’âme sœur, mais en partant de rien, on peut se satisfaire de pas grand chose. Et une habitude en provoquant une autre à chacune de ses disparitions punitives, je savais d’orès et déjà dans mon fort intérieur qu’une nouvelle part de moi allait devenir sienne et c’est bien ce que ce que je recherchais après tout, pour être honnête.
De rendez-vous manqués en attente téléphonique, j’ai appris à chérir ses absences comme des sursis nous séparant du drame suivant. Pourquoi invoquer les maladresses des accidents aléatoires lorsqu’on a le talent du sabotage sur sa propre personne ? Certains aiment jouer à la mort pour être sûr de lui survivre au moment opportun. Le seul inconvénient avec les récidivistes et leurs tentatives, ce sont les dégâts collatéraux à même le domicile et leurs prisonniers de guerre atteints du syndrome de Stockholm. Je crois que j’aime le feu autant qu’elle, ils sont indissociables et donnent un goût de paradis à l’autodestruction. Mais dans le jeu de la surenchère passionnelle, il vient un moment où l’on n’a plus rien à donner, et donc fort logiquement, bientôt à coup sûr, un jour sûrement, demain peut-être, je ne lui servirai plus à rien. L’Amour est une parenthèse raisonnable pour l’instinct de survie.
Puisque le cœur m’en disait, j’aurais voulu en perdre mon âme, mais j’y ai laissé le reste…
Heu… Je crois, enfin, je pense, hum… à moins que je n’invente… mais il me semble qu’embourbé corps et âme dans mon mensonge, j’ai toujours voulu raconter une histoire le plus simplement du monde pour qu’elle existe par elle-même, avant de la vendre à quiconque ! La narration, le mime ou la ventriloquie, quelles curieuses façons d’admettre que l’on ne peut décemment vivre seul ici-bas et qu’en dépit du peu d’intérêt du public, chaque personnage a besoin d’un spectacle pour patienter le temps d’une vie. Ma saugrenue contribution au système du récit humain réside dans le choix plausible, les perspectives possibles et les fins alternatives, si tenté que l’issue finale en soit une.
Puis, sans s’en rendre compte, les histoires que l’on raconte pour les autres nous dépeignent mieux que l’amour ou l’amitié. Dès lors, on ne sait plus, pardon… je ne sais plus si je dois les vivre pleinement en priant qu’aucune autre imagination ne vienne me les ôter ou si je peux m’en souvenir à jamais en ignorant qu’elles appartiennent à ceux qui les traversent. Ma vision, ma version, mon chapitre, mon histoire, mes pronoms possessifs, pour tant d’auteurs et plus d’acteurs encore, le récit ne peut ainsi se restreindre indéfiniment à mon désir et suivre ma volonté sans que celle-ci ne me corrompe un jour prochain. Vous savez… enfin, peut-être vous ne savez pas, mais… sur la multitude des routes qui jalonnent le domaine de l’imagination, il y a deux types de voyageurs bien spécifiques : les poissons-pilotes et les poissons rouges ! Les premiers suivent le modèle dominant d’évasion générale et les seconds vivent d’indénombrables fantaisies en les oubliant toutes sans exception. Lesquels sont les plus heureux selon vous – puisque c’est le but avoué, envié ?
L’imagination… arghh… pfff… quel mot fantastique et enivrant à la fois ! C’est le bonheur absolu, puis l’euphorie permanente ! Oui, oui, l’imagination… Oui, c’est ça, ceci doit certainement la distinguer des rêves inaccessibles et des cauchemars incongrus ! Rien n’est moins sûr. Pour tout dire, à partir du moment où l’on a commencé louablement à mettre les histoires en boîte pour observer en troupeaux, tapis dans le noir obscur, il était à parier que celles-ci arriveraient à leur terme avant même qu’elles ne soient imaginées. Sachant que même dans les tragédies les plus modernes et modestes il faut un coupable, j’en désigne un afin qu’on le regarde comme une bête de foire, si cela est encore possible. Le voilà, tout près, juste à côté, ce phénomène se résume en un seul mot : la vitesse, la seule, l’unique et l’inarrêtable. Par la même occasion, laissez-moi vous rappeler que la vérité et son contraire sont devenus le régime de pensée en vigueur dans la société de ceux qui vivent couchés, de ce fait tout n’est une question vulgaire de preuves factuelles et de démonstrations grossières. Adieu, histoires à dormir debout !
Mais, avant d’aller – si vous le permettez – plus loin dans vos têtes, revenons un bref instant sur les lieux et l’horaire du crime, le point de bascule où j’ai choisi de ne pas choisir entre l’opportunité et le mobile. La vraie question est celle-ci : Imaginer ou Croire ? Quelle affaire que celle-là ! S’affranchir des limites toujours plus jouissives, lointaines et mères de perdition ou en imposer afin d’avoir la maîtrise des espoirs que génèrent celles-ci ? Quel dilemme ! D’une responsabilité à une autre, j’ai opté pour le pouvoir où ma morale ne serait pas un ennemi amical et qui, en outre, ne me lesterait pas vers la réalité au gré des déboires de la machine-monde.
Et comme il ne peut en être autrement, les jalousies immobilières, charnelles, monétaires et théologiques chantent à l’unisson la sérénade, puis le requiem de la discorde terrestre pendant que l’histoire s’efface peu à peu des esprits avant d’être prise à part, à témoin à l’heure des excuses informulables. Je dois confesser, malheureusement presque amusé par la répétition des événements, que les diversions en tout genre trustent les préoccupations de chacun. Et voilà le slogan « tuer le temps avant qu’il ne nous tue » ! Et voilà le refrain ! Alors que reste-t-il comme place à ma petite entreprise de divertissement ? Vous me direz vraisemblablement que l’ère du virtuel peut pourvoir à mes besoins, certes, mais au vu des états de service de l’original, je refuse de donner le peu de crédit qui subsiste en moi à la pâle copie qui tente de le supplanter par tous les stratagèmes identitaires pensables. J’admets bien volontiers que la nécrophilie – courante et universelle – par les armes ou pour Dieu possède en elle l’adrénaline et le mysticisme que mon spectacle, trop vivant pour être une fable, ne peut suggérer à des malades imaginaires.
Au pays des hypocondriaques, les mythomanes sont rois. Dans tous les contrats qui vous veulent et vous vendent du bien, les clauses en petits caractères érigent les sanctions divines ou pénales contre la promesse de vente de votre jardin secret et la part d’enfance que vous cachez au fond de vous. Je ne fais pas les comptes à l’amiable seulement les histoires équitables, et pour cause, je fabrique artisanalement des explorateurs d’eux-mêmes et pas des fanatiques d’un autre. Mais après y avoir tant cru, puis en avoir eu aussi peur, et fort logiquement avoir peur d’y croire, les plus fervents, les premiers finissent par espérer n’importe quoi pour ne plus avoir peur…
Avoir des principes – quelle prétention bien élevée, bien élégante ! – et vivre avec, cela se révèle être un défi des plus périlleux. Quant à l’application de ceux-ci au quotidien, en voilà une folie bien pragmatique ! Certains en ont perdu la santé, beaucoup leurs esprits et les autres leur âme. Par vanité et sûrement épris de mon idéal, j’ai longtemps montré d’un doigt inquisiteur la religion et ses actionnaires pour mieux me détourner de ma fierté virginale car seule l’histoire comptait au départ. Mais l’usure des répliques et la redondance des fins m’ont persuadé que le conteur faisait le récit, pas l’inverse. Au bout d’un moment comme tout ceux ne pouvant pas se résigner à tirer leur révérence, j’ai commencé à trouver des excuses en confondant création et rediffusion et comme cela était déjà écrit, j’ai préféré le Diable à l’oubli !
Le Diable, lui, ne vient jamais par ses propres moyens. Il est le plus souvent précédé par l’Amour, authentique et éternel, ce mystère quelque peu prévisible obtenant plus qu’il ne donne au moment où il prend consciencieusement congé de nous. Le mien avait le teint laiteux et parfois carmin devant l’antre de notre chambre, son regard ne se dirigeait que dans ma direction afin de me détourner de mon admiration, car l’Amour qui se contemple n’en est pas un. Il avait les mains trop petites pour les miennes, l’évasion était certaine, mais il me donnait matière à convoitise lorsqu’il m’offrait sa poitrine pour que la nuit me trouve, enfin. J’ai su sans savoir ni sentir qu’il allait me quitter faute de temps, comme toujours, comme tout le monde. Et, dès lors, je lui ai demandé ce que mon imagination ne pouvait me procurer, un rêve éveillé, un enfant de lui. Mais un objet du souvenir, on le garde férocement et on ne lui parle que peu de l’avenir.
Tant que je pouvais raconter à ce souvenir vivant, te ressemblant, toutes les histoires possibles et imaginables qu’il n’aurait pas à expérimenter de lui même, l’illusion tenait ses promesses de captivité et la magie des mots suffisait pour être dite et entendue. J’ai honte… comme vous pouvez le penser… mais l’alcool remplit son office en m’éloignant du but de mes histoires avec une rigueur que mes démons devraient adopter. Fou est celui qui pense maîtriser le récit d’autrui alors qu’il n’a jamais vraiment eu la main mise sur le sien et c’est cela que j’avais oublié pour mieux me le remémorer le jour fatidique où le souvenir vivant m’échappa, se détourna et s’enfuit.
La narration n’a pas de chaînes, peu de lois et encore moins de biens. Alors, j’ai repris mes esprits et ma plume…